En 2021, Arthur de Soultrait fonde The Second Life avec son associé Antoine Gros. Spécialisée dans la seconde main, la startup choisit d’adresser les retailers afin qu’ils prennent part à ce marché mondial estimé à 105 milliards fin 2023. Cofondateur, ex-dirigeant de la marque Vicomte Arthur, Arthur Soultrait nous raconte son parcours entrepreneurial, de la faillite à la création de cette nouvelle société “de la maturité”.
The Second Life, start-up française leader en volume dans la collecte de vêtements de seconde main, propose une solution innovante à destination des retailers. À travers une plateforme B2B, elle permet d'offrir à leurs clients une option de revente de leurs vêtements, toutes marques confondues, en échange d’un bon d’achat utilisable au sein de leur réseau, sans photos ni négociation.
Contrairement aux pratiques courantes où les enseignes ne rachètent que leurs propres produits, The Second Life innove en acceptant plus de 1 000 marques, facilitant ainsi la démarche pour les consommateurs. La startup a déjà collecté plus de 500 000 vêtements en France et ambitionne d'élargir son impact en lançant ses services en Italie, en Espagne, au Luxembourg et en Allemagne.
Dans une interview exclusive pour Pôle Sociétés, Arthur de Soultrait partage les contours de son parcours entrepreneurial, depuis la création de sa première entreprise à l'âge de 21 ans jusqu'à la confrontation avec l'échec et la faillite. Il évoque avec sincérité les défis rencontrés, sa capacité à rebondir et les leçons essentielles qu'il a tirées de ces expériences pour piloter aujourd'hui le développement de The Second Life.
Arthur, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 42 ans et je suis devenu entrepreneur avant même d’avoir fini mes études d’école de commerce. En troisième année à l'IPAG , j’ai créé la société Vicomte Arthur à 21 ans. Je n'ai jamais pu travailler pour personne : j’aurais bien aimé mais je suis trop indiscipliné et j’ai du mal à supporter l'autorité !
Quelle est la genèse de Vicomte Arthur ?
En deuxième année, je devais effectuer un stage à l’étranger. Je me suis retrouvé aux États-Unis, en Caroline du Nord, dans une entreprise un peu bancale qui ne pouvait déjà plus me payer au bout de 15 jours. J’ai donc dû me débrouiller, et comme en France, je vendais des cravates d'amis espagnols, j'étais parti avec un stock. J’ai commencé à les vendre en faisant du porte-à-porte avant Noël : en 10 jours, j’avais gagné 8 000 dollars ! Et je me suis ainsi mis à vendre beaucoup de cravates, j’ai acheté une voiture et j’ai pris goût à cette liberté. À mon retour en France, j'ai décidé de lancer ma propre entreprise de cravates. Les polos ont suivi pour mieux faire connaître mon logo et la marque Vicomte Arthur : très colorés, ils ont rencontré un succès immédiat. Ils se vendaient dans toutes les écoles, avec un effet de mode national et un chiffre d’affaires en croissance : 150 000 € la première année, puis 1,5 million, 3 millions, 9 millions…
Comment avez-vous géré cette croissance ?
Vicomte Arthur faisait partie des meilleures jeunes sociétés françaises. La croissance a été énorme : on est vite passés de 0 à 100 personnes. Au début, on ne travaillait qu’avec des revendeurs puis on a ouvert nos propres boutiques, en Europe mais aussi aux États-Unis, nos corners dans une quarantaine de grands magasins. Nous avions aussi plus de 500 revendeurs dans le monde.
Et puis j’ai fait des erreurs, notamment sur les designers. Ma marque était bien établie, perçue comme le Ralph Lauren à la française, mais j’avais envie de la faire évoluer, avec moins de logos, d’aller vers quelque chose de plus élégant, de plus subtil. Et malheureusement, la clientèle n'a pas suivi cette évolution.
Nous avons aussi levé de l'argent au même moment, et je pense que j'ai pris la grosse tête. Le succès commercial était incroyable, j’ouvrais deux nouvelles boutiques à l’international par semaine. La levée de fonds m’a donné les moyens d'acheter des magasins et j'ai changé de métier : avant, on fonctionnait avec un showroom où on recevait des clients du monde entier qui venaient acheter des collections un an à l'avance. On fabriquait ces collections et on les livrait aux magasins. Mais ouvrir des boutiques, c’est un tout autre métier et je n’étais pas un spécialiste du retail. J’ai échoué entre le changement de collection, les magasins, les attentats à ce moment-là… Il y a eu tout un tas de problèmes consécutifs et les banquiers nous ont lâchés. J’ai perdu ma société.
Comment l’avez-vous vécu ?
Ça a été extrêmement dur. J'avais embauché toute ma famille, mes amis, mes cousins… J’avais plus de 100 salariés, des distributeurs dans le monde entier. Mais surtout, cette marque était toute ma vie, c'était comme mon bébé.
Après, je suis quelqu'un qui va de l'avant, ça ne m'a pas empêché de rebondir. Mais cette période était très douloureuse, car les gens qui vous rachètent ne vous font aucun cadeau. C’est ce qui s’est passé avec Vicomte Arthur, j'ai été viré assez vite après le rachat et je me suis retrouvé totalement nu.
Quelles leçons avez-vous tirées de cette période ?
Les grands enseignements à retenir, c'est que j'avais peut-être mis trop d'affect dans le business. J'avais eu des propositions de rachat intéressantes au moment où ça marchait bien, mais bêtement, j’étais incapable de ne plus être actionnaire majoritaire. Je me disais que j’allais avoir du mal à être salarié de ma boîte, alors que ça m'aurait permis d'encaisser de l'argent et de pouvoir faire autre chose.
Comme je m'étais lancé très jeune, j'avais peu de copains entrepreneurs pour me conseiller. Aujourd'hui, les modèles sont nombreux pour réussir un exit, gérer une faillite, etc. Mais à l’époque, c’était beaucoup plus rare et j’étais très seul.
C'est dans les moments de crise, notamment lors du redressement judiciaire de mon entreprise, que j'ai véritablement appris à me connaître. Cette période s'est révélée tout à fait passionnante : désormais, l'un de mes rêves serait de reprendre une entreprise en faillite. Les défis, les tracas, les négociations avec les créanciers et les réunions tendues face à une vingtaine de banquiers qui vous insultent copieusement ont aiguisé ma combativité.
Ces situations de crise révèlent également des opportunités exceptionnelles de négociation de dettes. Par exemple, lorsqu’on doit 1 million, il est parfois possible de négocier pour ne rembourser que 100 000 euros. Il y a beaucoup à faire avec les sociétés en difficulté, mais il faut avoir le cœur bien accroché et savoir prendre des décisions difficiles.
Est-ce la difficulté qui vous anime dans l’entrepreunariat ?
Oui, ça me plaît au bureau quand il y a des journées un peu chaudes. J'aime quand il y a du combat et que je me sens comme sur un ring de boxe. Le conflit me stimule, il m’oblige à sortir de ma zone de confort.
Comment est venue l’idée de The Second Life, votre nouvelle société ?
À l’époque de Vicomte Arthur, on fabriquait 500 000 vêtements par an qui arrivaient par avions du Pérou, par bateaux, par camions de Turquie, etc. D’une part, cela coûtait une fortune : je me souviens avoir payé un vol 40 000 dollars pour que mes polos soient livrés avant Noël. Et c’était surtout hyper polluant, tout était livré avec du plastique. J’ai donc eu cette première prise de conscience, associée à l’épuisement de mes 12 années dans le B2C.
J’avais envie de me lancer dans le B2B, avec plus de sens et un métier porteur, parce que le textile vit une crise profonde. Il y a des faillites quasiment toutes les semaines. La seconde main a toujours été une passion : j’adore les brocantes, le Bon Coin, je ne jette jamais mes affaires. Vinted est la star de la seconde main, de particulier à particulier, mais le créneau des retailers était encore à occuper.
Quel est le concept de The Second Life ?
Le concept de The Second Life est de faire participer les professionnels du prêt-à-porter au business de la seconde main. Nous leur créons une plateforme dédiée, qui permet à leurs clients d'estimer, d'enregistrer et d'envoyer les vêtements qu'ils ne portent plus en échange de bons d'achat.
Notre particularité est de proposer un rachat garanti, toutes marques confondues : nous voulons vraiment être la photo de l'armoire d’aujourd'hui des Européens. Nous opérons tout le processus : les clients font leur estimation en ligne et déposent en moyenne 7 vêtements en corner dédié ou les envoient par Mondial Relay prépayé. Nous traitons les colis en 3, 4 semaines et donnons un bon d’achat. Les vêtements repartent ensuite dans le réseau de revente de nos partenaires, généralement des supermarchés.
The Second Life a déjà permis de collecter plus de 500 000 vêtements, ce qui fait de nous la startup numéro 1 en France dans ce secteur. L’impact d’un vêtement revendu diminue de 30 % son impact carbone.
Quels sont les bénéfices pour les professionnels du retail ?
Les marques délivrent des bons d'achat que nous leur remboursons, et nous payent un abonnement. Les bons d’achats sont utilisés dans notre réseau de partenaires. Par exemple, pour notre collaboration avec Le Temps des Cerises, nous leur avons facturé 5 000 euros l’opération. Mais les bons d'achat qui vont être dépensés chez eux tournent autour de 100 000 €, c’est donc tout à fait rentable.
Ils améliorent leur image RSE, et attirent également une nouvelle clientèle qui va venir via The Second Life. La difficulté a été de les faire passer à une collecte de vêtements multimarque : souvent, les marques qui lancent une plateforme de seconde main ne reprennent que leurs vêtements. Mais certaines commencent à admettre que les placards de leurs clients contiennent aussi du Zara, du Mango, du Ralph Lauren, du H&M…
Nous avons également développé une autre verticale : 80 % de nos clients sont des centres commerciaux où les particuliers peuvent déposer leurs vêtements contre des bons d’achats. C'est une façon de lutter contre l'inflation et de redonner du pouvoir d'achat. Nous pouvons aujourd’hui traquer où les bons d’achat sont dépensés, et le constat est flagrant : d’abord dans la grande distribution pour l’alimentaire, ensuite dans les restaurants de ces centres commerciaux, puis dans l’utilitaire type Leroy Merlin et en dernier dans le prêt-à-porter, qui représente moins de 10 %. Cela dit beaucoup de l’époque et des difficultés de pouvoir d’achat des Français.
Comment gérez-vous aujourd’hui votre croissance ?
Après Vicomte Arthur, j’ai tout perdu et j’ai redémarré de zéro. The Second Life est l’entreprise de la maturité : j’ai levé 3 millions d’euros au début grâce à la confiance d’amis et d’investisseurs et nous sommes aujourd’hui quasiment à la rentabilité. Nous n’avons pas relevé d’argent depuis deux ans. Ma stratégie de croissance est assez soft : je continue de recruter tout en gardant les pieds sur terre.
J’investis tout particulièrement dans le marketing et la communication. Comme j'ai tout perdu, je sais à quel point ça peut aller vite et j'ai une obsession pour la rentabilité. Notre système fonctionne, il faut juste qu'il soit connu et déployé à très grande échelle. Mais comme nous n’avons pas les moyens d'annoncer dans le monde entier, on se met derrière nos retailers qui sont très forts localement. Ce sont eux qui communiquent mais nous leur donnons tout le branding : les visuels, les films TikTok, Instagram, le matériel presse, les éléments de langage, etc.
Quelles sont vos perspectives d’avenir pour The Second Life ?
Nous voulons devenir une alternative au bon coin et pourquoi pas, demain, collecter autre chose que des vêtements. Dans les mois à venir, nous allons lancer la collecte de jeux et de jeux vidéo contre des bons d'achat, puis la collecte de livres et sans doute un jour l’électronique. Devenir physiquement et online une alternative au Bon Coin pour les retailers.