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“Plus de 50 % du gaspillage de fruits et légumes a lieu à la source de la production agricole” : avec Atypique, Simon Charmette donne une seconde chance aux produits déclassés.

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Simon Charmette explique sa vision d’une startup à impact avec Atypique

Crédit image : Entreprendre.

Atypique est un acteur clé de la lutte contre le gaspillage alimentaire en France. Fondée par Simon Charmette et Thibault Kibler en 2021, la startup se concentre sur la valorisation des fruits et légumes déclassés, souvent rejetés par les circuits de grande distribution en raison de leurs petits calibres. Un projet à impact mené par Simon Charmette, qu’il raconte dans cette interview exclusive pour Pôle Sociétés.

Depuis sa création, l'entreprise a réussi à sauver 3 000 tonnes de produits qui auraient autrement été jetés, contribuant ainsi à réduire le gaspillage alimentaire. En travaillant directement avec une centaine de producteurs, Atypique a non seulement aidé ces agriculteurs à générer des revenus supplémentaires, mais a également soutenu l'emploi dans les zones rurales.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

J'ai 31 ans et je suis originaire d'Ardèche, où mes parents dirigent une exploitation agricole. Mon parcours académique s'est orienté vers les énergies renouvelables : une classe prépa à Lyon, puis une école d’ingénieur à Paris. Par la suite, j'ai consacré environ trois ans à l'humanitaire et deux ans à une activité professionnelle en bureau d'études spécialisé dans les énergies renouvelables.

Quelle a été votre implication dans le domaine humanitaire ?

En 2019 et 2020, je me trouvais au Lesotho dans un orphelinat. J'ai eu l'occasion de lancer un petit projet entrepreneurial, une biscuiterie, pour générer des revenus et rendre cet orphelinat moins dépendant des aides de l'État qui, là-bas, étaient très aléatoires. À l'origine, j'achetais et revendais des biscuits d'un producteur, avant de prendre en charge la production. J’avais deux employés avec qui nous commercialisions nos biscuits localement.

Pourquoi cette expérience dans l'humanitaire ?

J'ai toujours voulu avoir un impact dans mon activité, c’est quelque chose qui m'anime depuis mes études d’ingénieur. Mais à l'époque, les options pour concrétiser cette volonté étaient limitées. Après mes études, je souhaitais donc explorer les possibilités d'impact humanitaire. C’est une voie passionnante mais qui présente de lourdes contraintes financières et trop de dépendance des aides et subventions externes. Cela m'a orienté vers l'entrepreneuriat, avec une approche où l’autonomie financière et l’impact environnemental sont corrélés. C'est à ce moment-là que j'ai eu l'idée d’Atypique, un business qui allie un pacte environnemental de lutte anti-gaspillage, de soutien au producteur et qui s'autofinance.

Comment est venue l’idée d’Atypique ?

Je viens du monde agricole, mes parents ont une ferme où ils produisent des pommes de terre, des châtaignes et élèvent des agneaux. Quand j'étais petit, j'étais toujours choqué par les volumes de produits qu'on ne pouvait pas vendre dans les circuits classiques, souvent en raison de calibres trop petits, par exemple pour la châtaigne et la pomme de terre. Ils finissaient avec les produits abîmés ou dans le sceau destiné aux animaux. Quand plus tard, j'ai réfléchi à un business à impact, j'ai repensé à cette problématique et je me suis dit “Certes, il existe aujourd'hui des solutions anti-gaspillage dans les boulangeries, les restaurants mais elles sont plus rares à la source. En creusant le sujet, je me suis rendu compte que plus de 50 % du gaspillage de fruits et légumes a lieu à la source de la production agricole mais peu d’actions sont mises en place ou sont anecdotiques par rapport à des Too Good To Go qui ont déjà levé des dizaines de millions d'euros.

N’y a t'il pas eu justement des initiatives concernant les légumes dits moches ?

Il y a des opérations de glanage, de dons alimentaires mais tout ça reste très peu développé. Pourtant ces produits sont très bons, juste différents. Avec Atypique, on travaille directement avec des producteurs, qui passent parfois par des d'autres structures pour vendre leurs produits comme des coopératives mais souvent ils n’ont pas envie de s'embêter avec la vente. Nous avons un lien direct avec le monde de la production à qui on va acheter des stocks de produits déclassés, bien caractérisés : c'est à dire qu'on ne va pas acheter une tonne de pommes sans savoir ce qu’il y a dedans, juste parce que le producteur n’arrive pas à la vendre. On va lui acheter une tonne de pommes petit calibre de 75 grammes ou 85 grammes, puis on va la vendre à notre client, un acteur de la restauration collective, qui passe ses commandes sur notre offre de produits.

Nos clients viennent principalement de la restauration collective, aux trois quarts : des cantines scolaires, des cantines d'entreprise, de collectivité, de maisons de santé, d'hôpitaux…

Quelle est votre vision derrière la valorisation de ces fruits et légumes ?

On travaille sur une gamme qui est intégralement française, ce qui est un peu contraignant quand on cherche des bananes des Dom Tom ou des oranges de Corse, mais c'est notre notre créneau. Notre décote de prix permet de rendre accessible une alimentation saine et de qualité au plus grand nombre. En baissant les prix d’achat, nos clients ont la possibilité de se fournir en cerises ou fraises françaises, chose impossible en temps normal pour un repas de cantine payé entre 3 euros ou 4 euros. 90 % de notre gamme de nos produits ont un label soit bio soit de haute valeur environnementale.

Vous travaillez en circuit court ?

Nous faisons le maximum pour livrer nos clients depuis l'entrepôt le plus proche mais il faut garder à l'esprit qu'en France, les différents bassins de production ne cultivent pas tout. La fraise et l’abricot poussent mieux dans le sud qu'en Bretagne et vice versa pour le chou fleur et le panais. On est inévitablement contraint par ces faits et donc on va chercher les produits là où ils sont disponibles. Le local a aussi ses limites : la tomate d’Île de France est cultivée sous serre chauffée alors qu'elle pousse sous serre non chauffée dans le sud : en termes de bilan carbone, il vaut mieux privilégier la tomate du sud.

Comment avez-vous financé les débuts de votre entreprise ?

Le financement de notre entreprise n'a pas été une tâche aisée au départ. Nous n'avons pas levé de fonds immédiatement ; cela n'a eu lieu qu'après deux ans d'activité. Dès le début, avec mon associé, nous avons investi notre propre argent pour acheter les premiers stocks. Nous avons préparé et livré nous-mêmes les premières commandes. Puis, progressivement, nous avons confié certaines tâches à des partenaires, car il était crucial de nous concentrer sur le développement de l'entreprise. Nous avons opté pour des frais variables, adaptés au volume des commandes et des colis préparés, ce qui nous a permis de contrôler nos marges et de rester rentables.

Après avoir établi une certaine stabilité, nous avons obtenu un emprunt bancaire. Ce prêt nous a offert un peu de répit en termes de trésorerie, nous permettant ainsi d'ouvrir notre deuxième entrepôt à Paris et de réaliser nos premiers recrutements. Devant le succès croissant de notre entreprise, nous avons lancé une levée de fonds pour consolider notre modèle et étendre notre présence au niveau national. Cette étape nous a également permis de nous entourer de personnes clés, essentielles pour la construction du projet. Passer d'un grossiste local lyonnais à un acteur national implique de nombreux défis, et nous voulions être bien accompagnés pour les relever.

Êtes-vous fier d’être entré dans le nouveau classement IMPACT40/120 ?

Le nouvel indice IMPACT40/120 valorise les 40 entreprises à impact les plus prometteuses pour devenir des licornes à impact et les 120 entreprises à impact à suivre de près et à soutenir dans leur accélération : Atypique est entrée dans ce dernier classement et nous en sommes très contents. Cela représente un accomplissement de nos 3 ans de travail. Ce qui m’anime dans l'entrepreunariat c'est justement d’avoir un impact, et ce qui est génial avec Atypique, c’est que la croissance de l’entreprise est corrélée à la montée de notre impact. On aide les agriculteurs à générer des revenus complémentaires dont ils ont énormément besoin tout en limitant le gaspillage.

Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées ?

Ce qui me plaît le plus, c'est d'apprendre constamment, mais cela signifie aussi se retrouver régulièrement dans des situations inconfortables. En ce moment, nous structurons notre service financier. Bien que je sois ingénieur de formation et à l'aise avec les chiffres, je ne maîtrise pas tous ces aspects, ce qui implique un apprentissage continu. De même, la levée de fonds était un domaine totalement nouveau pour moi. J'ai dû comprendre le fonctionnement des fonds d'investissement, aidé par un avocat pour les aspects légaux, et assimiler les termes des accords que nous allions signer.

À chaque étape, il faut acquérir de nouvelles compétences avant de les déléguer. J'ai dû me familiariser avec des domaines comme les achats de fournitures, la logistique, le transport, la vente de produits, la restauration collective.

Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur pour mieux appréhender ces difficultés ?

Se faire accompagner pour la levée de fonds a été crucial. C'est un conseil que je donnerais à tout entrepreneur : ne pas hésiter à chercher des experts pour vous guider dans des domaines que vous ne maîtrisez pas encore.

Le conseil que je donnerais plus généralement est de trouver le juste équilibre entre déléguer et gérer soi-même. Il ne faut pas basculer complètement dans un sens ou dans l'autre. Certains sujets que l'on ne maîtrise pas doivent être confiés à des experts, mais il est également important de s'y intéresser pour comprendre les enjeux et les décisions.

Par exemple, dans le cadre d'une levée de fonds, la partie légale doit être confiée à un avocat spécialisé. Cependant, il est crucial de comprendre les éléments clés, car c'est vous qui signez à la fin. Vous devez donc être bien informé pour savoir ce que vous signez.

Un autre exemple est la prestation de services. Nous avons décidé de la confier à des partenaires, mais nous devons rester impliqués pour nous assurer que tout se déroule correctement. Il est essentiel de monter en compétence sur chaque sujet délégué, de manière à pouvoir superviser efficacement et garantir le bon déroulement des opérations.

Et votre plus grande réussite depuis le début d'Atypique ?

Ma plus grande réussite, et celle dont je suis le plus fier, est d'avoir soutenu une centaine de fournisseurs à travers nos activités. En faisant le calcul, nous avons estimé que nos achats représentent en moyenne un SMIC par fournisseur. Parmi eux, on trouve des coopératives, des producteurs et des stations de conditionnement, qui ont tous besoin de davantage de main-d'œuvre. En les aidant ainsi, nous contribuons indirectement à l'emploi dans ces structures, leur permettant de recruter du personnel supplémentaire pour leurs tâches opérationnelles.

En termes de chiffres, nous avons sauvé environ 3 000 tonnes de produits depuis le début de notre aventure. Même si cela reste modeste comparé aux 1,3 million de tonnes de fruits et légumes gaspillés chaque année en France, c'est tout de même significatif. Nous commençons à avoir un impact notable, bien que nous soyons conscients que beaucoup reste à faire. Mais atteindre ces volumes nous montre que nous avançons dans la bonne direction et que nos efforts commencent à porter leurs fruits.

Le secteur de la lutte anti-gaspi est assez concurrentiel : comment vous démarquez-vous ?

Nous sommes en effet plusieurs sur ce segment : certaines entreprises proposent des paniers pour les particuliers, d'autres comme nous se concentrent sur la livraison des cantines, et d'autres encore transforment ces produits ou en font de la cosmétique.

Chaque entreprise se spécialise dans une niche différente, ce qui est bénéfique pour le secteur. Cette diversité permet de mieux valoriser les produits déclassés selon les besoins des clients et les particularités des marchés.

Je pense que ce secteur est destiné à croître. La grande distribution, en cherchant à répondre à des standards esthétiques élevés, a contribué à augmenter le gaspillage alimentaire au niveau de la production. Cela crée une opportunité pour des entreprises comme la nôtre de valoriser ces produits qui seraient autrement perdus.

Il y a toutefois un travail important de rééducation du consommateur à mener. Même s’ils se disent prêts à lutter contre le gaspillage alimentaire, ils continuent de choisir les fruits et légumes les plus parfaits en magasin. Et ils ne voient pas ces produits atypiques et ne savent même pas qu'ils existent. Par exemple, nous avons des palettes de kiwis plats, totalement inconnus du grand public.

Avez-vous une source d’inspiration à nous partager ?

J'ai été très inspiré par le travail de Matthieu Dardaillon, cofondateur de Ticket for Change. Il a écrit un livre intitulé Activez vos talents, ils peuvent changer le monde, qui a été une véritable source d'inspiration pour moi en termes d'entrepreneuriat à impact.

Ce livre propose diverses méthodes d'introspection pour mieux se connaître, identifier ses points forts et ses domaines d'amélioration. Il met en avant l'idée que les entreprises possèdent un pouvoir parfois supérieur à celui des États, ce qui en fait des leviers formidables pour traiter des enjeux comme les inégalités ou le gaspillage. Utiliser ce pouvoir pour résoudre des problèmes de société est un concept qui me parle beaucoup. Je crois fermement que les entreprises peuvent jouer un rôle crucial pour corriger les inégalités, aux côtés des associations et des pouvoirs publics.

Cette lecture m'a convaincu de me lancer dans l'entrepreneuriat à impact. C'est un livre que je recommanderais à tous les entrepreneurs, mais aussi à ceux qui souhaitent avoir un impact positif dans leur travail, qu'ils soient entrepreneurs ou intrapreneurs.

AGRIAGORA

Commerce de gros (commerce interentreprises) de fruits et légumes

Sommaire

  • Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
  • Quelle a été votre implication dans le domaine humanitaire ?
  • Pourquoi cette expérience dans l'humanitaire ?
  • Comment est venue l’idée d’Atypique ?
  • N’y a t'il pas eu justement des initiatives concernant les légumes dits moches ?
  • Quelle est votre vision derrière la valorisation de ces fruits et légumes ?
  • Vous travaillez en circuit court ?
  • Comment avez-vous financé les débuts de votre entreprise ?
  • Êtes-vous fier d’être entré dans le nouveau classement IMPACT40/120 ?
  • Quelles sont les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées ?
  • Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur pour mieux appréhender ces difficultés ?
  • Et votre plus grande réussite depuis le début d'Atypique ?
  • Le secteur de la lutte anti-gaspi est assez concurrentiel : comment vous démarquez-vous ?
  • Avez-vous une source d’inspiration à nous partager ?