Dans l'univers des startups françaises d’IA générative, LightOn est l’une des pépites prometteuses. Laurent Daudet, cofondateur, partage son parcours, de physicien à entrepreneur en IA, et sa vision stratégique du marché.
Fondée en 2016, à l’issue d’un projet collaboratif entre chercheurs, LightOn développait à l’origine un processeur photonique révolutionnaire, avant d’opérer un revirement et de développer son propre grand modèle de langage (LLM), à l’instar d’OpenAI.
La startup offre une solution d'intelligence artificielle générative conçue sur mesure pour les entreprises. En déployant ses modèles de langage directement sur les serveurs des clients, LightOn se distingue par sa capacité à répondre précisément aux exigences spécifiques de chaque entreprise, tout en garantissant une sécurité optimale des données traitées.
À ce jour, LightOn compte environ une dizaine de clients, essentiellement constitués de grandes entreprises et institutions soucieuses de la confidentialité de leurs données. Les secteurs d'activité sont variés : banque, assurance, domaine médical, ressources humaines, et services publics. Laurent Daudet, l’un des quatre cofondateurs, revient sur le parcours de LightOn et explore pour Pole Sociétés les grands enjeux liés à l’avènement de l’IA.
D’universitaire à entrepreneur : pourriez-vous nous parler de votre parcours ?
Je n’étais pas destiné à l'entrepreneuriat initialement, ma carrière ayant débuté en tant que physicien. Après des études à l’École Normale Supérieure, je me suis naturellement dirigé vers une carrière académique, occupant divers postes à l'international et en France, notamment en tant que maître de conférences à Paris 6 et professeur à Paris 7, devenue aujourd'hui Université Paris-Cité. J'ai enseigné la physique des ondes et la théorie de l'information, domaines où l'intelligence artificielle commençait déjà à percer. L'aventure LightOn a débuté en 2017, née d'un projet de recherche collaboratif hors de tout cadre et de tout financement.
Quelle était l'idée originale derrière LightOn ?
L'idée de départ était centrée sur le développement d'un accélérateur photonique pour le calcul, utilisant la lumière non seulement pour transmettre mais aussi pour calculer l'information. Ce concept promettait des calculs massivement parallèles et une réduction significative de la consommation énergétique des serveurs. Concrètement, cela se traduisait par des boîtiers connectés aux serveurs pour effectuer certains calculs.
Qu'a changé l'arrivée de GPT-3 pour LightOn ?
GPT-3 est arrivé vers mai 2020 et a marqué un tournant en révélant le potentiel immense de l'IA générative. Nous avons compris que l'avenir de l'IA, qui était déjà notre domaine d’application, résidait dans sa capacité non seulement à analyser mais aussi à générer des contenus indiscernables de ceux créés par l'homme. Cette phase n'était pas juste anecdotique, quelque chose d’absolument majeur était en train de se produire.
Comment cela a-t-il influencé votre stratégie ?
Le GPT-3, à nos yeux, dont l’acronyme signifie Generative Pretrained Tranformer, rappelle également l’acronyme de General Purpose Technology, une Technologie Générale à Usage Multiple, comparable à des innovations majeures comme internet ou l'électricité, capable de dépasser largement les intentions de ses inventeurs.
La sortie du ChatGPT, plus interactif, a encore amplifié cet engouement, en nous rapprochant d'une ère autrefois considérée comme de la science-fiction. Cette période a marqué un changement radical dans la perception publique de l'IA, la rendant accessible et utilisable au quotidien par le grand public, en français comme en anglais. Cette dynamique a profondément influencé notre orientation vers l'exploitation de l'IA générative, et nous avons décidé d’opérer un pivot, du hardware - nos boîtiers de calcul - au software, un modèle d’IA générative.
Opérer un tel pivot, du hardware au software, a-t-il été difficile ?
Ce pivot de notre modèle d'affaires a représenté un défi majeur et une adaptation tant au niveau de l'équipe qu'au niveau stratégique. Il a contraint certains de nos ingénieurs à se repositionner professionnellement et d’autres à partir, qui ne se reconnaissaient plus dans ce nouveau métier. Je ne vous cache pas que cela a été un déchirement, car nous avions soudé une équipe autour d'un produit spécifique, d'un projet commun et d'une vision d'entreprise partagée.
Mais lorsque le marché prend un virage inattendu, il faut s’adapter et le suivre. Malgré les défis, la conviction collective que nous avions pris la bonne décision a facilité cette transition, bien qu'elle ait été éprouvante. Et le marché a confirmé le potentiel énorme de l’IA générative.
Que fait LightOn et quelle est sa spécificité par rapport à d'autres technologies comme GPT ?
LightOn déploie une IA générative du même type qu’OpenAI, centrée sur le texte, mais notre approche diffère par l'utilisation que nous faisons de la technologie : nous ciblons les besoins spécifiques des entreprises, en nous concentrant sur la confidentialité et la souveraineté des données.
LightOn s'engage à déployer ses modèles directement sur les serveurs de ses clients et garantit ainsi une sécurité maximale des informations traitées. Les modèles sont entraînés en interne et plus les clients les utilisent, plus ils construisent leurs propres bases de données et plus ils les améliorent. LightOn permet de spécialiser un modèle d’IA propre à chaque entreprise cliente.
Comment voyez-vous l'évolution du travail avec l'avènement de l'IA ?
L'IA générative transforme le paysage professionnel, automatisant non seulement des tâches manuelles mais aussi intellectuelles. Pour la première fois dans notre histoire, les cols blancs sont concernés par l’automatisation. Cela représente à la fois des défis et des opportunités : si certains métiers risquent d'être impactés, l'IA offre également une augmentation de la productivité et de l'efficacité.
C’est un outil qu'il faut apprendre à maîtriser pour rester compétitif. Ce que je dis souvent aux gens, c’est qu’ils ne vont pas être remplacés par l’IA, mais par des gens qui savent utiliser l’IA. Elle fera demain partie des compétences les plus demandées, et ce sera naturel. Tout comme aujourd’hui, on ne dit plus qu’on sait utiliser Word ou Internet, cela paraît évident.
L'IA générative pourrait-elle créer une nouvelle vague d’entrepreneuriat ou au contraire, une génération du zéro effort ?
Cette interrogation réapparaît périodiquement dans le débat public, un peu comme un refrain familier. Je me souviens, dans ma jeunesse, des débats entourant l'usage de la calculatrice. À l'époque, on craignait que les gens ne soient plus capables d’effectuer le moindre calcul. Certes, aujourd'hui, on calcule moins à la main ou de tête, mais est-ce vraiment un problème ? La calculatrice a permis de nous attaquer à des problématiques bien plus complexes.
L'histoire montre que chaque avancée technique a été accompagnée de craintes quant à ses impacts potentiels sur notre capacité à penser et à apprendre. Pourtant, plutôt que de nous limiter, ces innovations ont ouvert la voie à de nouvelles formes de complexité et de créativité dans notre interaction avec le monde.
L'IA générative est en train d’abaisser les barrières à l'entrée pour les entrepreneurs, offrant des possibilités illimitées de création et d'innovation. Elle représente une opportunité formidable pour ceux prêts à explorer et à exploiter son potentiel.
Quels conseils donneriez-vous justement à un entrepreneur ?
Le premier conseil est évidemment d’apprendre à se servir de l’IA générative. Le second est de rester assez flexible sur les évolutions du marché. Le marché a toujours raison. Il ne faut pas tomber trop amoureux de sa technologie car tout évolue très vite.
