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Rencontre avec Marc-Henri Frouin, le créateur des robots Niryo : “J’ai fabriqué le produit que j’aurais rêvé d’avoir étudiant.”

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Le parcours entrepreneurial de Marc-Henri Frouin, fondateur de Niryo.

Crédit image : Niryo.

Technophile et passionné par les robots depuis l’enfance, Marc-Henri Frouin a lancé sa startup à la sortie de ses études. Dans un entretien accordé à Pole Sociétés, il nous explique sa vision de la robotique et analyse les grandes étapes de son aventure entrepreneuriale.

Niryo est un bras robotisé intelligent et collaboratif destiné à l’enseignement et au secteur industriel. Fondée en 2017 à Lille par Marc-Henri Frouin, la startup conçoit des cobots, robots collaboratifs, capables d’opérer en toute sécurité aux côtés des humains pour certaines tâches précises et souvent chronophages. Après une levée de fonds de 10 millions d’euros en série A en 2023, Niryo continue d’écrire son histoire, celle d’une startup de hardware made in France, et de multiplier les cas d’usages de son robot.

Quel a été votre parcours avant de fonder Niryo ?

Originaire de Normandie, je me suis dirigé vers Lille pour mes études d'ingénieur. J’ai toujours été un passionné de technologie, depuis tout petit je bricole pour m’amuser. Cet intérêt m'a naturellement orienté vers une formation en ingénierie et en robotique, un trait d’union entre le monde software et le monde physique hardware.

Quelle a été la genèse de Niryo ?

L'idée de Niryo est née durant mon master de robotique, une période durant laquelle j'ai éprouvé une certaine frustration. J’ai été alimenté par des films de science-fiction pendant toute ma jeunesse, et j’avais l’impression d’étudier dans le passé, avec des systèmes industriels d’automatisme certes très pertinents mais qui n’étaient pas alignés avec ma vision de la robotique intelligente, accessible et agile.

Je me suis donc lancé juste après mes études, en 2016, et j’ai monté Niryo en 2017, avec un robot 6 axes. Je l’ai lancé sur le marché sans savoir encore exactement à quoi il allait servir mais il incarnait le début de ma vision de la robotique. Niryo 1, ce premier robot, a finalement très vite trouvé son marché dans les secteurs de l’éducation et de la recherche pour former les étudiants à la robotique. J’ai fabriqué le produit que j’aurais rêvé d’avoir quand j’étais étudiant, et que toute mon équipe aurait également rêvé d’avoir dans ses salles de classe.

Que fait le robot Niryo exactement ?

Niryo, dont le nom vient de "Near You” dans l’idée d’un robot qui accompagne l’homme, est un bras robotisé 6 axes vendu 5 à 10 fois moins cher qu’un robot industriel. Il a été conçu pour être accessible aussi bien aux étudiants qu'aux professionnels et aux industriels.

6 axes signifient 6 moteurs, soit les articulations qui permettent de reproduire ce que fait un bras humain. Concrètement, Niryo peut manipuler des objets à l’égal d’un homme. Ses applications sont très diverses, mais on peut le retrouver par exemple dans des laboratoires de tests et d’analyses, où il manipule des éprouvettes en respectant des protocoles assez stricts et souvent chronophages. Niryo est un compagnon de travail qui s’installe rapidement, amené à évoluer aux côtés du technicien. Il est également utilisé dans le domaine du textile et du luxe, où les tâches manuelles, souvent cause de troubles musculosquelettiques, sont assistées par Niryo.

Quelle est votre vision de la robotique derrière Niryo ?

On a souvent peur de ce qu’on ne connaît pas mais selon moi, un robot est finalement un outil comme les autres, aux mêmes titres qu’une perceuse ou une visseuse, contrôlé par l’homme. Ma vision est celle d’une industrie 5.0 : on garde l’humain au cœur des process mais on vient l’outiller avec des technologies qui lui permettent d’être plus efficace et de travailler dans de meilleures conditions. Nyrio est proposé comme une solution de confort et non de remplacement de l’homme par la machine.

La robotique demande beaucoup d’investissements, comment avez-vous financé vos débuts ?

J’ai bénéficié d’un grand soutien moral de la part de ma famille mais je n’avais pas beaucoup de fonds. J’ai récolté 10 000 euros en love money pour acheter mon matériel, puis j’ai fonctionné par petites étapes, comme si je gravissais un escalier. J’ai ensuite lancé une campagne Kickstarter pour vendre les robots en précommande, puis j’ai activé les leviers bancaires avec des prêts d’honneur. J’ai également participé à des concours avec subventions, dont le concours d’innovation i-Lab de Bpifrance qui a récompensé Niryo en 2019.

Deux levées de fonds ont suivi : une première de 3 millions d’euros en 2020, et une seconde à l’été 2023 de 10 millions d'euros, qui doit nous permettre d’atteindre la prochaine marche.

Je tiens à dire que nous devons beaucoup à l’écosystème français, car les barrières à l’entrée ne sont pas si hautes quand on a vraiment envie d’entreprendre.

On dit pourtant que les barrières à l’entrée sont plus importantes lorsqu’on lance une startup de hardware ?

C’est vrai que le hardware est un secteur difficile. Prenez, par exemple, un robot Nyrio, qui embarque environ 150 composants différents. La qualité de chaque pièce est cruciale : un seul élément défectueux de la part d'un fournisseur peut entraîner un dysfonctionnement du produit chez le client, nécessitant son retour et le changement de la pièce. Ce processus engendre des délais prolongés et des frais de transport significatifs, faisant ainsi grimper le coût de production.

De surcroît, la marge bénéficiaire dans le domaine du hardware est très inférieure à celle du software, se situant autour de 50 % contre 90 à 100 % pour ce dernier. Cette disparité rend le secteur moins attractif pour les investisseurs, qui tendent à privilégier des opportunités offrant des retours sur investissement plus rapides et plus élevés.

Il faut être capable de raconter une histoire sexy avec le hardware. Mais je suis convaincu qu’avec les problématiques de réindustrialisation et de souveraineté numérique de la France et de l’Europe, on se dirige vers un modèle de production plus local sur lequel la technologie va fortement aider. J’espère que Nyrio fera partie de ces acteurs, faciles à installer dans de petites usines.

Où êtes vous basé et quelle stratégie de développement avez-vous adoptée ?

Nos bureaux de Lille sont installés dans un bâtiment industriel avec notre atelier et notre ligne de production où les robots sont fabriqués. Quant à notre développement, il s'est appuyé sur une visibilité internationale dès le début, notamment grâce à cette campagne Kickstarter qui nous permet aujourd’hui de générer 60 % de notre chiffre d'affaires à l'international.

Nous avons également beaucoup investi dès le départ dans le marketing puis on a accéléré la partie Sales dès 2020, qu’on soutient de plus en plus pour être capable de vendre des flottes de 10 ou 15 robots, dans des universités, des collèges, des lycées… La robotique fait partie des objectifs de souveraineté de l’Europe et les écoles sont de plus en plus nombreuses à s’équiper.

Quels sont les défis les plus complexes que vous ayez eus à relever depuis le début de Niryo ?

Parmi les défis les plus significatifs, il y a eu la gestion des ascenseurs émotionnels. À titre d'exemple, juste avant notre dernière collecte de fonds, nos ressources financières étaient au plus bas, mais il était crucial de ne pas se laisser décourager, surtout pour les équipes. La pression inhérente à ces périodes décisives peut être difficile à gérer, y compris dans notre vie privée. Pour ma part, j'essaie de séparer au maximum vie professionnelle et personnelle, en évitant notamment de télétravailler.

Le plus difficile survient lorsque les finances s'épuisent ou lorsqu'un projet industriel majeur échoue après y avoir investi énormément d'énergie. Je conseille toujours aux entrepreneurs d'avoir un plan B pour alléger la pression sur le plan A. Être prêt à perdre un deal peut transformer la dynamique de négociation, en particulier lors des levées de fonds, en instaurant un rapport de force plus favorable. Il est essentiel de conserver sa confiance en soi et d'être disposé à accepter de perdre pour ne pas se laisser écraser.

Et votre plus grande fierté ?

Le passage de notre entreprise d'un incubateur à un centre industriel constitue l'une de mes plus grandes fiertés, le symbole du véritable commencement de l'aventure Nyrio. Pour moi, une startup ce n’est pas un bureau doté d‘un babyfoot mais une entreprise qui crée des vrais produits, une structure engagée dans la création de valeurs. Notre équipe, aujourd'hui, se distingue par sa diversité de profils, de l'ingénieur à l'agent d'assemblage.

J’ai compris à quel point il était nécessaire de cultiver une culture d'entreprise solide dès les premiers jours de Nyrio. Plus le temps passe, plus je mesure l'importance de rassembler des individus aux horizons variés, y compris des ingénieurs aux spécialisations multiples, autour d'un objectif et d'un produit communs. L'attraction et le recrutement de talents exceptionnels, de personnes qui m'impressionnent par leur expertise et leur savoir-faire, renforcent cette sensation de réussite. Je suis également fier de voir Nyrio s'exporter à l'international et de croiser nos robots dans des FabLabs à travers le monde.

Quelles sont vos sources d’inspiration au quotidien ?

Je suis très admiratif des dirigeants de PME industrielles, souvent méconnus du grand public, mais qui ont su bâtir des entreprises solides et résilientes, sans lever de fonds et avec des CA de 10 à 20 millions, qu’on entend pourtant peu. Ces patrons d’entreprise témoignent d'une humilité remarquable face à leur succès.

Autrement, les robots et la science-fiction ont toujours fait partie de ma vie, et cela continue pendant mes moments de détente. Avec ma compagne, nous sommes amateurs de nombreux films et animations, notamment "Real Steel" (2011), qui démystifie les robots, et des classiques comme "WALL-E". Ces œuvres illustrent la richesse de la science-fiction, capable d'explorer aussi bien l'utopie que la dystopie, et le monde que nous connaîtrons peut-être un jour.

NIRYO

Ingénierie, études techniques

Sommaire

  • Quel a été votre parcours avant de fonder Niryo ?
  • Quelle a été la genèse de Niryo ?
  • Que fait le robot Niryo exactement ?
  • Quelle est votre vision de la robotique derrière Niryo ?
  • La robotique demande beaucoup d’investissements, comment avez-vous financé vos débuts ?
  • On dit pourtant que les barrières à l’entrée sont plus importantes lorsqu’on lance une startup de hardware ?
  • Où êtes vous basé et quelle stratégie de développement avez-vous adoptée ?
  • Quels sont les défis les plus complexes que vous ayez eus à relever depuis le début de Niryo ?
  • Et votre plus grande fierté ?
  • Quelles sont vos sources d’inspiration au quotidien ?