Fondée en 2018 par quatre anciens d’Airbus, à la suite d’un projet intrapreneurial d’avion électrique, Ascendance propose des solutions pour décarboner l’aviation. Rencontre avec son CEO et cofondateur, Jean-Christophe Lambert.
Ascendance aspire à décarboner l'aviation en proposant des solutions brevetées de propulsion alternatives. À la différence de nombreux de ses concurrents, la startup a opté pour une technologie de propulsion hybride au lieu d'une solution tout électrique. Son avion ATEA décolle et atterrit ainsi verticalement, et offre ainsi une réduction significative de 80% des émissions de carbone par rapport à un hélicoptère classique.
Si l’avion est encore au stade de démonstrateur, son premier vol inaugural est prévu pour la fin 2024. Ascendance a réalisé une levée de fonds de 34 millions d’euros l’année dernière afin d’entrer dans sa phase de pré-industrialisation, et confirme avoir reçu plus de 400 lettres d'intention d'achat (LOI) pour son avion ATEA, preuve d’un très fort intérêt du marché. Jean-Christophe Lambert, cofondateur et CEO, nous raconte dans un entretien exclusif la vision qui l’anime derrière ce projet.
Jean-Christophe, pourriez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?
J’ai suivi des études d’ingénieur logiciel avec une spécialisation en intelligence artificielle, suivi d’un master en business à HEC. Ma formation s’est achevée par un diplôme en management de grands projets chez Supaero, et je suis ensuite entré chez Airbus, où j'ai occupé différents postes : Business Developper dans les services satellitaires de la branche Défense, Chief of Staff d'un directeur, puis en 2014 j'ai pris la direction du projet E-Fan, le premier avion électrique à traverser la Manche en 2015.
Ce projet pionnier d’aviation durable a marqué un tournant dans ma carrière et m’a amené à me pencher sur les technologies de décarbonation de l'aviation. C’est en 2018 que nous avons décidé avec trois personnes de l'équipe de créer Ascendance, pour continuer sous forme entrepreneuriale toute cette mouvance vers la décarbonation de l'aviation.
Pourquoi ne pas rester chez Airbus sous forme intrapreunariale ?
Premièrement, nous étions poussés par une vraie volonté d’entreprendre, et c’est toujours plus difficile d’apporter une innovation de rupture dans un grand groupe. Nous étions convaincus que démarrer ex nihilo offrait une toile blanche unique pour la culture et l'innovation : le cadre de la startup nous semblait plus propice à la réalisation de ruptures significatives, malgré les difficultés à lever des fonds et réunir toutes les expertises nécessaires.
Deuxièmement, il était évident que notre désir d'innover n'était pas contrarié par Airbus, mais que l'agilité et la liberté d'action indispensables pour piloter des initiatives de rupture étaient plus accessibles dans un contexte entrepreneurial. Être aux commandes en tant qu'entrepreneur nous offrait la latitude nécessaire pour transformer notre vision en réalité.
Pouvez-vous nous parler d’Ascendance et de sa mission ?
La mission d'Ascendance est de proposer des solutions pour la décarbonation de l'aviation. Notre premier produit est un avion nommé ATEA qui décolle et atterrit verticalement, qu'on positionne sur le marché de l'hélicoptère, du transport de personnes, de logistique et de service médical. Cet avion offre une réduction significative des émissions de carbone, jusqu'à 80 % par rapport à un hélicoptère classique. Il divise également le bruit par quatre et par deux le coût d'opération. Le projet est encore au stade de démonstrateur mais le premier vol à l'échelle est prévu pour fin d'année 2024.
Mais nous nous sommes rendus compte durant le développement d’ATEA que notre technologie de propulsion hybride électrique pouvait également servir à d'autres avionneurs. Nous avons donc décidé de l’ouvrir au marché et signé à titre d’exemple un partenariat stratégique avec le groupe Daher. C’était une opportunité d'élargir nos perspectives de marché et d'accroître notre contribution à la décarbonation de l'aviation, car on ne pourra pas remplir cette mission seuls.
Votre avion décolle et atterrit électriquement mais vole avec du carburant. Est-ce possible d'envisager à long terme un vol 100 % électrique ?
Pour mettre les choses en perspective, 1 kg de fioul équivaut à environ 25 à 40 kg de batterie. Pour faire voler un Airbus, il faudrait embarquer 180 tonnes de batteries. La contrainte de poids rendrait un avion entièrement électrique impraticable à l'heure actuelle. Donc, à court terme, les batteries pourront servir dans des applications spécifiques, comme l'entraînement des pilotes, où l'appareil reste à proximité d'une piste.
Depuis notre traversée de la Manche en 2015, la progression technologique en matière de batteries, n'a été que de 20 % sur huit ans, alors qu'il faudrait multiplier cette capacité par 20 pour répondre aux besoins. La transition vers un vol 100 % électrique nécessiterait donc des avancées significatives dans la technologie des batteries ou l'adoption de nouvelles sources d'énergie décarbonées, comme le carburant d'aviation durable ou l'hydrogène. Les batteries seules ne suffiront pas à décarboner entièrement l'aviation.
La décarbonation de l'aviation représente un défi colossal. Quelle approche adoptez-vous pour mener à bien un projet d'une telle envergure ?
On s’est assigné deux missions principales : d'une part, le développement technologique visant une large part du secteur aéronautique, et d'autre part, un rôle de catalyseur de changement : on doit faire bouger les lignes. On aborde ce défi avec ambition. Certes, l'ampleur du projet peut parfois nous dépasser, mais le passage de quatre à cent personnes chez Ascendance témoigne de notre capacité à réaliser des avancées significatives et prouve que nos objectifs sont atteignables.
Concernant notre méthodologie, nous bénéficions d'un contexte particulièrement favorable qui a évolué depuis 2018. À cette époque, la décarbonation n'était pas aussi prégnante dans l'industrie aéronautique qu'elle l'est aujourd'hui, et le financement d'une start-up industrielle était perçu comme presque infaisable, voire un tabou. La situation a changé, en partie grâce à la prise de conscience accélérée par la crise du Covid-19 et l’intérêt croissant pour la réindustrialisation et la souveraineté économique. Ce nouveau climat crée un terreau plus propice au développement de projets ambitieux comme le nôtre.
Comment avez-vous financé Ascendance ?
Comme je le disais, c’est toujours plus difficile de financer une startup hardware/industrielle car les temps de développement sont beaucoup plus longs et demandent des sommes importantes. Mais nous avons réussi à tirer notre épingle du jeu avec de belles levées de fonds : 2 millions, 10 millions, puis 34 millions en 2023 avec des investisseurs clés comme la famille Dassault, Bpifrance, Audacia. Mais il va falloir aller encore plus loin pour financer l'industrialisation et la production de notre avion, avec des financements toujours plus importants, c’est toute la difficulté de notre développement.
Pouvez-vous justement nous raconter quelles difficultés vous avez dû surmonter depuis la création d’Ascendance?
Je pense que le premier choc qu'on a reçu a été le passage d'une culture de grand groupe à une culture d'entrepreneur. Au sein d’un grand groupe, on a l'habitude de présenter son projet et d'évoluer dans son écosystème professionnel, avec des gens qui connaissent les temporalités, les difficultés, les zones d'investissement, et je pense qu'on a totalement sous-estimé ce travail de communication autour de notre produit en étant trop concentrés sur notre domaine opérationnel.
Le premier pitch qu'on a fait aux investisseurs, par exemple, ressemblait à une présentation de projet au sein d'un grand groupe. Il nous a fallu une petite année pour recadrer notre discours, à l’aide des mécanismes d'incubation. La gestion de la croissance a constitué une autre difficulté. Malgré de belles levées de fonds, l'équilibre entre le développement de l'entreprise et la gestion de projets ambitieux comme la création d'un nouvel avion, a été un challenge constant. Trouver le bon équilibre entre structurer l'entreprise, recruter, stabiliser et avancer sur le projet est un des enjeux majeurs.
Et à l'inverse, votre plus grande réussite ?
On a su délivrer des jalons importants, on a réalisé ce qu'on avait annoncé et établi une relation de confiance avec notre board d’investisseurs. Je pense aujourd’hui qu'on a réussi à prouver pas mal de choses. Ma seconde fierté, c'est d’avoir réussi à créer une culture d'entreprise saine, dans laquelle mes collaborateurs s'épanouissent. C’est un enjeu quotidien, qu’on a construit autour de beaucoup de transparence et d'interactions, en évitant les silos.
Nous avons positionné des valeurs fortes au cœur d’Ascendance : le mérite, l'audace, le respect, la simplicité, qu’on essaie d’appliquer chaque jour. Un entrepreneur m’a posé un jour une question importante : “Qu’est-ce que vous êtes prêt à sacrifier pour vos valeurs?” Il faut parfois faire des choix très durs qui vont à l'encontre de l'opérationnel pour tenir ses valeurs, mais c'est là qu'on prouve qu'on les respecte et je pense qu’on y gagne sur le long terme.
Quel conseil donneriez-vous à un entrepreneur qui lance un projet à fort impact et qui serait un peu effrayé par l’ampleur de sa mission ?
De ne pas regarder trop loin. Je répète toujours à mes équipes qu’il faut savoir regarder derrière eux, de voir tout ce qu'on a accompli les 6 derniers mois avant de penser aux 6 prochains mois. Il faut mettre un point de visée et faire attention au plan détaillé - on n'aurait pas pu anticiper le Covid par exemple - et je pense qu'il faut faire confiance à ses croyances et en sa capacité à aller chercher des choses qu'on pense impossible. Ça permet d’éviter de regarder trop dans le détail, de s'effrayer et finalement d'être dans l'inaction. Je dis souvent que si j'avais connu à l’avance chaque détail, chaque difficulté rencontrée depuis la création d’Ascendance, je ne suis pas sûr que je l'aurais fait. En revanche je n'ai jamais regretté de l'avoir fait.