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Thomas Bancel, CEO de HEPTA Medical : “La santé est un domaine où l'innovation a un sens profond et concret, chaque avancée technologique peut faire une différence dans la vie des patients.”

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Rencontre avec Thomas Bancel, CEO de HEPTA Medical

Crédit image : Le Parisien.

Dans le domaine des dispositifs médicaux, HEPTA Medical fait figure de pionnier avec sa technologie destinée à transformer le traitement du cancer du poumon. À sa tête, Thomas Bancel, ingénieur et entrepreneur, met son expertise au service d’innovations médicales qui visent à offrir des solutions moins invasives et plus efficaces. Retour sur son parcours, son engagement et sa vision derrière HEPTA Médical.

HEPTA Medical, startup incubée au sein de MD Start et fondée en 2019 à Suresnes, se spécialise dans le développement de dispositifs médicaux innovants. Elle développe des solutions non invasives pour traiter le cancer du poumon grâce à l'ablation par micro-ondes. La technologie d’HEPTA s’appuie sur un capteur de température intégré à une sonde, permettant un monitoring en temps réel durant les procédures. Cette innovation permet non seulement de maximiser l’efficacité des interventions, mais aussi de minimiser les risques pour les patients.

Avec Thomas Bancel à la barre, HEPTA a récemment levé 6 millions d’euros pour poursuivre son développement et notamment lancer son dispositif aux États-Unis, où la réglementation est plus favorable à une commercialisation rapide. Le CEO de cette startup prometteuse revient sur son parcours, entre digital, médecine et entrepreneuriat, et ce qui l’anime au quotidien.

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je suis ingénieur de formation, un pur produit du système éducatif français. Après une classe préparatoire, j’ai intégré une grande école d’ingénieurs. J’ai eu la chance de poursuivre mes études à l’École Polytechnique. Pour parfaire mon parcours académique, j’ai passé ma dernière année à l’étranger, à Stanford, où j’ai obtenu un master en science des matériaux. À ce stade, mon parcours n'avait pas encore de lien direct avec la santé.

À mon retour des États-Unis, après avoir terminé mon cursus à Polytechnique, j'ai commencé ma carrière dans le domaine du digital. J'ai d'abord été entrepreneur, puis salarié pendant quelques années, avant de redevenir entrepreneur. Pendant environ six ans, j'ai alterné ces deux statuts. J'ai créé une première entreprise, Feedback, spécialisée dans la gestion de la réputation en ligne, d'abord pour les particuliers, puis pour les entreprises. Cette aventure a duré un peu moins de trois ans et s'est conclue par une petite sortie, dont les détails sont confidentiels.

Ensuite, j'ai rejoint Webedia en tant que salarié pendant deux ans. Là-bas, j'étais responsable de toute la business unit "Food", qui comprenait des sites comme 750g et un portefeuille d’actifs dans la cuisine, ainsi qu'une maison d’édition. J'étais en charge de l'ensemble de cette division, ce qui m'a permis de développer mes compétences en gestion et en digital.

Qu’est-ce qui vous a poussé à changer de secteur pour vous tourner vers la santé ?

Après mon expérience chez Webedia, j'ai ressenti le besoin de réorienter ma carrière pour deux raisons. D'abord, la science me manquait, et ensuite, je voulais me rapprocher du domaine de la santé. Ayant grandi dans une famille de médecins, j'avais longtemps hésité à me lancer dans des études de médecine après le lycée. Ces réflexions m'ont amené à quitter Webedia et à mener deux projets en parallèle.

D'un côté, j'ai décidé de faire une thèse pour satisfaire mon appétit scientifique. De l'autre, j'ai saisi cette opportunité pour me rapprocher du secteur médical. J'ai ainsi réalisé ma thèse à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière sur un dispositif médical utilisé dans un essai clinique pour traiter des maladies neurologiques de manière non invasive. C'était en quelque sorte les prémices du projet HEPTA.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de thèse et son lien avec HEPTA ?

Ma thèse portait sur l'ablation thermique, mais dans un contexte neurologique, avec pour objectif de remplacer les procédures chirurgicales invasives du cerveau. Habituellement, ces opérations consistent à insérer des aiguilles à travers le crâne pour brûler ou détruire de petites zones dysfonctionnelles du cerveau. L'idée de ma recherche était de réaliser cette ablation sans ouvrir le crâne, en utilisant un casque qui envoie des ultrasons ciblés pour détruire les zones à traiter.

Cette méthode a été utilisée à la Pitié-Salpêtrière dans le cadre d’un essai clinique pour traiter des patients atteints de tremblements essentiels. Contrairement aux interventions traditionnelles, cette technique non invasive réduit les risques d’infection, car elle ne nécessite aucune incision. La procédure est ainsi moins risquée, le patient reste éveillé tout au long de l’intervention et peut rentrer chez lui le jour même.

Comment s’est déroulée votre transition entre la thèse et l’entrepreneuriat ?

Après avoir soutenu ma thèse entre 2019 et 2022, j’ai lancé une nouvelle startup dans le digital. J’ai toujours eu le virus de l'entrepreneuriat. MerciDocteur est une société qui s'est rapidement imposée dans le domaine de la santé numérique. Le logiciel est conçu pour les établissements de santé : cliniques, hôpitaux, médecins libéraux, centres de consultation, etc. L’idée est simple : après une consultation ou une hospitalisation, les patients reçoivent des enquêtes de satisfaction par email ou SMS, ce qui permet aux professionnels de santé de recueillir des avis et d’analyser les retours. C’est un outil connecté aux dossiers patients informatisés, et il aide les établissements à améliorer la qualité des soins et à suivre des indicateurs de satisfaction sur le long terme. Je ne suis plus opérationnel mais je reste membre du board et j'y consacre encore quelques heures par mois.

Après MerciDocteur, vous avez rejoint HEPTA Médical. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?

J’ai effectivement rejoint HEPTA Médical, mais contrairement à mes précédentes aventures entrepreneuriales, je n’ai pas fondé cette entreprise. HEPTA a été créée par MD Start, un incubateur de dispositifs médicaux détenu par Sofinnova Partners, un fonds que je connais bien. MD Start a une grande expérience dans la création de startups dans le domaine des dispositifs médicaux, et ils ont à leur actif des succès comme CorWave et Moon Surgical.

MD Start a une approche unique. Leur mission est d’identifier des besoins médicaux majeurs et de trouver des technologies innovantes capables d’y répondre. Ils collaborent souvent avec des médecins, des ingénieurs ou des chercheurs universitaires qui proposent des idées ou détiennent des brevets. Une fois qu’ils ont identifié une technologie prometteuse, ils créent une entreprise autour de celle-ci. Ils s’occupent du développement initial, en s’appuyant sur leur réseau de prestataires, et aident à créer le prototype qui répond à un besoin médical spécifique. C’est dans ce cadre qu’HEPTA a vu le jour, et j’ai eu l’opportunité de rejoindre cette aventure.

Le projet HEPTA m’a immédiatement convaincu, notamment en raison de la proximité avec ma thèse. Bien que la technologie ne soit pas la même – j’avais travaillé sur l’ablation thermique par ultrasons, et eux utilisaient des micro-ondes – l’objectif restait similaire. Ce qui distingue HEPTA, c’est leur capteur de température intégré à la sonde, qui permet de monitorer en temps réel la réponse du patient et de fournir un retour direct au clinicien, rendant la procédure plus sûre et efficace. Ce retour en temps réel était un point crucial dans ma thèse, même s'il était abordé différemment. J'ai trouvé que le projet était extrêmement prometteur, tout comme les brevets qu'ils avaient acquis autour de cette technologie.

Quel rôle pensez-vous que des innovations comme celles développées par HEPTA peuvent jouer dans le traitement de maladies graves comme le cancer du poumon ?

Le potentiel d’impact est immense, surtout lorsqu'on parle du cancer du poumon, qui est le cancer le plus mortel au monde. En France, on dénombre environ 35 000 décès chaque année, et à l'échelle mondiale, c’est un véritable fléau. Ce qui est frappant, c'est que le cancer du poumon tue plus de personnes que le cancer du sein, du côlon et de la prostate réunis. Aux États-Unis, par exemple, les dépenses liées à sa prise en charge représentent environ 10 % des dépenses globales de santé. Il y a donc un besoin colossal d’innovations pour améliorer les traitements, réduire les coûts et sauver des vies.

Quel est le rôle du dépistage et comment HEPTA s'intègre-t-elle dans ce contexte ?

La bonne nouvelle, c’est que nous commençons enfin à voir des progrès dans le dépistage du cancer du poumon. Bien que la prévention – comme l’augmentation du prix du tabac ou les avertissements sur les paquets de cigarettes – ait réduit le nombre de fumeurs, il est difficile de faire baisser ce taux en dessous de 14 %. C'est pourquoi le dépistage devient crucial. Il a été prouvé que dépister le cancer du poumon à un stade précoce est économiquement rentable. Même si cela coûte cher de dépister un grand nombre de personnes, cela revient finalement moins cher que de traiter des patients diagnostiqués tardivement, lorsque les traitements sont plus complexes et les chances de survie réduites.

Pouvez-vous nous parler de la récente levée de fonds de HEPTA ?

Bien sûr. Nous venons de clôturer une levée de fonds de 6 millions d’euros dans le cadre de notre Série A. Deux nouveaux actionnaires majeurs nous ont rejoints : BPI France et MNL Esquerre, un grand fonds singapourien spécialisé dans les dispositifs médicaux. L’objectif de ces fonds est de financer les prochaines étapes de HEPTA, avec trois grands objectifs.

Premièrement, nous voulons commercialiser la première version de notre dispositif aux États-Unis. Deuxièmement, nous devons démontrer, à travers des essais cliniques en France et en Europe, la valeur ajoutée de notre capteur de température. Ce capteur est l’innovation clé de HEPTA, car il permet un monitoring en temps réel lors des procédures d’ablation thermique.

Nous avons déjà prouvé que cela fonctionne en laboratoire et en préclinique, mais il nous reste à confirmer ces résultats lors d'essais cliniques chez l’homme. Le capteur fournit des informations précises sur la température des tissus et permet aux cliniciens d’adapter en temps réel la durée et l’intensité de l’ablation, ce qui rend la procédure plus efficace et plus sûre. Si, après 10 minutes, la tumeur n'est pas entièrement détruite, on peut prolonger l'ablation. À l’inverse, si tout est terminé en 5 minutes, on peut arrêter pour éviter de brûler du tissu sain.

Enfin, le troisième objectif est de finaliser la version 2 de notre dispositif, qui consiste à utiliser une sonde flexible passant par les bronches. Actuellement, notre première version utilise une aiguille qui traverse la paroi thoracique pour atteindre la tumeur. Cette méthode, bien que moins invasive que la chirurgie, comporte des risques comme le pneumothorax, qui nécessitent parfois que le patient reste hospitalisé plusieurs jours. En développant une sonde qui passe par les bronches, nous espérons éliminer ces complications et rendre la procédure totalement non invasive.

Pourquoi avoir choisi de lancer d’abord votre dispositif aux États-Unis ?

Les États-Unis sont un marché clé pour les dispositifs médicaux, avec une régulation plus favorable à l’innovation rapide. La FDA permet de commercialiser des dispositifs comme le nôtre, une aiguille percutanée pour l’ablation thermique, sans avoir besoin de réaliser d'essais cliniques, à condition de prouver que notre dispositif est équivalent à ceux déjà sur le marché. Comme je l'ai mentionné, les aiguilles d’ablation micro-ondes sont déjà largement utilisées, et nous pouvons donc bénéficier de cette équivalence. Le seul élément réellement innovant dans notre dispositif est le capteur de température et le logiciel associé, mais dans une version où il ne fait qu’afficher la température sans autre intervention, cela reste comparable aux dispositifs existants.

En Europe, la situation est différente. Avec la Medical Device Regulation (MDR), qui a récemment renforcé les exigences de mise sur le marché des dispositifs médicaux, même pour un produit équivalent, il est obligatoire de réaliser des essais cliniques. Ce processus est à la fois plus long et plus coûteux, ce qui est un défi pour une entreprise de notre taille.

Concrètement, combien de temps cela prendrait en Europe ?

Si nous voulions commercialiser la première version en Europe, il nous faudrait d'abord déterminer combien de patients seraient nécessaires pour démontrer la sécurité et l'efficacité de notre dispositif. Disons, à titre d'exemple, que nous devons traiter 30 patients et les suivre pendant un an. Cela nous prendrait au moins un an et demi à deux ans pour réaliser ces essais cliniques. Ensuite, il faudrait soumettre le dossier à un organisme notifié, chargé de délivrer le marquage CE.

Le problème, c'est que la nouvelle réglementation européenne a créé un goulot d'étranglement. Il y a très peu d'organismes notifiés disponibles, et le délai pour qu'ils évaluent un dossier est généralement d'environ 18 mois. Cela signifie qu’il faudrait attendre environ trois à quatre ans avant de pouvoir commercialiser notre dispositif en Europe, contre un lancement presque immédiat aux États-Unis.

Ce décalage pousse donc de nombreuses innovations européennes à partir aux États-Unis ?

Exactement. Il y a vingt ans, l'Europe était plus compétitive que la FDA en matière d'innovation dans les dispositifs médicaux. La réglementation était plus rapide et plus efficace, ce qui permettait aux entreprises d'innover plus rapidement. Mais depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation européenne, les choses se sont inversées. Aujourd’hui, beaucoup d'entreprises européennes, comme nous, priorisent le marché américain.

Cela doit être frustrant pour une entreprise basée en France, non ?

Oui, c'est frustrant, d'autant que nous sommes basés à Suresnes, nous collaborons avec des médecins français, et nous allons faire des essais cliniques avec Gustave Roussy, un centre de renommée mondiale. Nous aimerions évidemment commercialiser notre dispositif en Europe rapidement, mais la réglementation actuelle ne nous laisse pas vraiment le choix. En fait, quand on met bout à bout les délais et les coûts supplémentaires engendrés par la réglementation européenne, cela devient une très mauvaise idée d'un point de vue business. Pour une startup comme la nôtre, ce serait extrêmement difficile de supporter ces coûts et cette attente. Nous devons donc faire des choix stratégiques, même si nous restons très attachés à notre implantation en France.

Qu'est-ce qui vous anime dans votre travail au quotidien ?

Je suis vraiment épanoui aujourd'hui. Bien sûr, comme tout le monde, j’ai eu des phases de doute et des besoins de changement, mais à ce stade de ma carrière, je me sens à ma place. En 2016-2017, lorsque j'étais chez Webedia, je ressentais déjà cette envie d'explorer autre chose, sans que ce soit encore très clair dans mon esprit. Aujourd’hui, avec HEPTA, je suis au cœur d’un environnement à la fois scientifique et entrepreneurial, et c’est exactement ce qui me motive. Nous sommes une petite équipe, mais nous collaborons avec des médecins, des ingénieurs, des centres de recherche et des fabricants. C'est un écosystème entièrement dédié à l'innovation, et j’ai le sentiment de contribuer directement à améliorer la médecine grâce à mes compétences d'ingénieur et d'entrepreneur. C’est ce qui me passionne au quotidien.

En tant qu'entrepreneur ayant évolué dans des secteurs très différents, qu’est-ce qui vous attire le plus dans le domaine de la santé aujourd’hui ?

Ce que j’apprécie dans la santé, c’est l'impact direct que nous pouvons avoir sur la vie des gens. Dans mes précédentes expériences dans le digital, il y avait un certain détachement avec les utilisateurs finaux. Ici, avec HEPTA, nous développons des technologies qui touchent au bien-être et à la survie des patients. C’est un domaine où l'innovation a un sens profond et concret, où l'on sait que chaque avancée technologique peut faire une différence dans la vie des patients. Ça donne un véritable sens à mon travail, au-delà des chiffres et des objectifs financiers.

HEPTA MEDICAL

Recherche-développement en autres sciences physiques et naturelles

Sommaire

  • Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
  • Qu’est-ce qui vous a poussé à changer de secteur pour vous tourner vers la santé ?
  • Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet de thèse et son lien avec HEPTA ?
  • Comment s’est déroulée votre transition entre la thèse et l’entrepreneuriat ?
  • Après MerciDocteur, vous avez rejoint HEPTA Médical. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?
  • Quel rôle pensez-vous que des innovations comme celles développées par HEPTA peuvent jouer dans le traitement de maladies graves comme le cancer du poumon ?
  • Quel est le rôle du dépistage et comment HEPTA s'intègre-t-elle dans ce contexte ?
  • Pouvez-vous nous parler de la récente levée de fonds de HEPTA ?
  • Pourquoi avoir choisi de lancer d’abord votre dispositif aux États-Unis ?
  • Concrètement, combien de temps cela prendrait en Europe ?
  • Ce décalage pousse donc de nombreuses innovations européennes à partir aux États-Unis ?
  • Cela doit être frustrant pour une entreprise basée en France, non ?
  • Qu'est-ce qui vous anime dans votre travail au quotidien ?
  • En tant qu'entrepreneur ayant évolué dans des secteurs très différents, qu’est-ce qui vous attire le plus dans le domaine de la santé aujourd’hui ?