Dans le secteur de l’alimentation végétale, portée par un vent favorable depuis quelques années, Nudj se différencie par sa volonté de ne pas imiter le goût de la viande mais de proposer un produit sain et vrai, sans ingrédients texturés et ultra-transformés. Dans cette interview exclusive pour Pole Sociétés, Foucauld Peuchot raconte son parcours entrepreneurial et sa rencontre avec un fruit méconnu.
Née en 2021, la startup Nudj bouscule le marché des alternatives végétales avec des produits alimentaires naturels, sans additifs ni ingrédients ultra-transformés, à base de jacquier, un fruit tropical riche en nutriments que Barthélemy et Foucauld Peuchot, les deux frères fondateurs, découvrent lors d’un voyage en Inde
Portée par une forte exigence en matière de santé et de transparence, la marque développe également une gamme de produits destinée à la restauration collective, conformes aux objectifs de la loi Egalim. Chaque recette Nudj est certifiée bio, Nutri-score A et obtient une note de 100 % sur Yuka, soulignant l’engagement de Nudj pour une alimentation sans compromis. Foucaud Peuchot a accepté de nous rencontrer pour revenir sur son parcours et nous expliquer sa vision de l’alimentation et de l’impact derrière Nudj.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant de vous lancer dans l'entrepreneuriat ?
Après mes études à HEC Paris, je suis parti en Côte d'Ivoire pour travailler avec le groupe Rocket Internet, où j'ai cofondé Jumia Food, le premier service de livraison de nourriture à domicile dans le pays. J'y ai passé trois ans. J'ai ensuite rejoint le secteur de la santé et des objets connectés, en tant que bras droit du CEO de la startup Sevenhugs, qui était basée entre Paris et San Francisco. J'étais le premier profil non-tech recruté, et j'ai accompagné la croissance de l'entreprise, qui est passée d'une dizaine à plus de 50 employés. Ces deux expériences étaient passionnantes, structurantes et m'ont permis d’assumer de belles responsabilités.
Qu'est-ce qui vous a amené à changer de voie et à vous orienter vers le développement durable ?
C’était un secteur qui m’intéressait déjà beaucoup. J'avais travaillé en 2014, pendant mes études, dans une réserve naturelle au Brésil, où je participais à des projets de reforestation. Après six ans de carrière, j'ai donc décidé de démissionner pour lancer ma propre entreprise avec mon frère et l’objectif d'avoir un impact social ou environnemental positif.
Comment avez-vous défini votre projet entrepreneurial autour de la réduction de l'empreinte carbone ?
Nous avons rapidement identifié que la réduction de l'empreinte carbone passait par une réduction de la consommation de viande. Mais en explorant le sujet en 2019, nous avons constaté une contradiction majeure : de nombreuses alternatives à la viande arrivaient sur le marché, mais elles ne répondaient pas aux attentes des consommateurs en matière de santé. Et il faut savoir que la réduction de la consommation de viande en France est principalement motivée par la santé, et non par des préoccupations écologiques ou de bien-être animal.
Prenez un steak végétal classique : il contient souvent jusqu'à 22 ingrédients, dont seulement l'eau et le sel sont 100 % naturels. Beaucoup de ces produits sont composés de protéines texturées comme le soja, le pois ou le blé, des substances ultra-transformées.
Quels sont les risques de ces ingrédients ultra-transformés pour la santé ?
Depuis les années 2010, des études, notamment au Brésil, ont démontré une corrélation entre la consommation d'ingrédients ultra-transformés et les maladies non transmissibles, comme le diabète et l'obésité. Ces ingrédients, qui font partie de la catégorie NOVA 4, incluent les additifs, conservateurs, et protéines texturées, qui ne se trouvent pas à l'état naturel. Leur processus de fabrication altère la structure des aliments, créant des "calories vides" qui sont mal assimilées par le corps et favorisent l'inflammation.
En France, environ 70 % des produits vendus en supermarché contiennent des marqueurs d'ultra-transformation, ce qui représente plus de 50 % des calories ingérées par les enfants. Dans les pays anglo-saxons, c'est encore plus marqué, avec des conséquences visibles sur les taux d'obésité. On parle souvent de réduire le sucre, le sel et les graisses, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi s'intéresser à la qualité des ingrédients, à leur naturalité.
Quels sont les principes pour une alimentation plus saine, selon vous ?
Le Dr Anthony Faraday, un expert français des ingrédients ultra-transformés, recommande la règle des 3V : manger végétal pour réduire la consommation de viande, manger varié pour diversifier les apports, et manger vrai, c’est-à-dire privilégier les ingrédients naturels et éviter les produits ultra-transformés. Cette approche est essentielle pour réellement améliorer la qualité de notre alimentation.
Et comment intégrez-vous cette approche dans le projet Nudj ?
Pour nous, la clé pour encourager les gens à réduire leur consommation de viande est de proposer des alternatives naturelles. Au lieu d’imiter le goût de la viande avec des produits ultra-transformés, notre approche est de proposer des produits qui répondent à ce besoin de naturalité. Nos produits ne cherchent pas à remplacer la viande en termes de goût, mais plutôt en termes d’expérience. Nous proposons des nuggets, des galettes, des produits pratiques pour les consommateurs, mais à base de végétaux, et non de protéines texturées.
Pour cela, on utilise le fruit du jacquier, que nous avons découvert il y a 14 ans avec mon frère Bart lors d’un voyage en Inde. C'est la plus vieille alternative à la viande au monde, consommée depuis des millénaires dans de nombreux pays tropicaux. On le trouve notamment au Bangladesh, en Inde, au Brésil, et même à Madagascar ou en Sierra Leone. Bien connu dans les pays anglo-saxons et tropicaux, il reste méconnu en France.
Quel goût a le jacquier ?
Lorsqu’il est mûr, le goût du jacquier se situe entre la mangue et l’ananas, très agréable. Cependant, nous le récoltons lorsqu’il est encore vert pour exploiter surtout sa texture, sans le goût sucré. Le jacquier vert est très fibrant, ce qui en fait une base parfaite pour nos produits. Sa texture unique apporte un côté charnu sans aucun additif. C’est aussi un super aliment, naturellement riche en protéines, en fibres, en vitamines et en antioxydants. Mais l'un de ses atouts majeurs est son abondance : on laisse pourrir 80 % de la production mondiale. En l’utilisant, nous valorisons un fruit inexploité et réduisons le gaspillage alimentaire.
Quel impact espérez-vous avec ce modèle basé sur le jacquier ?
Notre objectif est de créer un triple impact. D'abord, un impact environnemental en réduisant l’empreinte carbone grâce à un produit à faible impact écologique. Ensuite, un impact social en valorisant un fruit localement inexploité et en soutenant des producteurs via le commerce équitable. Enfin, un impact sur la santé : nos produits sont 100 % naturels et dépourvus d’ingrédients ultra-transformés. Nous nous positionnons ainsi contre l'ultra-transformation et en faveur d’une alimentation plus saine.
Où vous procurez-vous le jacquier et comment gérez-vous cet approvisionnement ?
Aujourd’hui, notre jacquier provient du Sri Lanka, où nous travaillons avec des fermiers engagés dans le commerce équitable et un partenaire industriel local. Le jacquier pousse de manière sauvage parmi d’autres cultures comme le cajou et les bananes, et ne supplante donc pas d’autres espèces. Cette approche favorise également la biodiversité.
Comment le public français a-t-il réagi au lancement de vos produits ?
C’est simple : le jacquier est encore méconnu en France. Les gens ne le connaissent pas du tout, donc il faut du temps pour qu’ils s’y familiarisent. Pour nous faire connaître, nous avons misé sur notre promesse de naturalité. Le jacquier, pour nous, est presque un "allié" dans cette mission, mais c’est surtout cette approche de cuisine naturelle qui est notre argument central. Nous racontons l’histoire du jacquier sur nos emballages, et lors des interviews, je viens souvent avec un fruit de jacquier pour le présenter. C’est une mascotte un peu atypique, mais elle fait son effet !
Sur nos emballages, la liste des ingrédients est bien visible, elle occupe une place importante. On veut que les gens puissent lire et comprendre chaque ingrédient de la recette. Nos galettes, par exemple, sont entièrement refaisables chez soi, avec des ingrédients simples. Cette transparence est essentielle pour nous : notre promesse, c’est que les ingrédients soient tous naturels et compréhensibles pour le consommateur.
Depuis combien de temps vos produits sont-ils disponibles en France ?
Cela fait deux ans que nous sommes commercialisés, d’abord chez Monoprix puis nous avons élargi notre présence à la restauration collective avec FoodChéri. Depuis, nous avons signé avec Cora, et plus récemment avec Carrefour. Nous allons bientôt être disponibles chez Auchan, et nous poursuivons aussi notre développement dans la restauration collective, un marché très prometteur pour nous, notamment grâce à la loi Egalim, qui depuis janvier 2023, impose aux cantines d’incorporer 20 % de produits bio, 50 % de produits responsables et au moins un repas végétarien par semaine. Nos produits s’intègrent parfaitement dans ce cadre. Dans les cantines, les chefs sont souvent réticents à utiliser des produits qui imitent la viande. Nos produits, purement végétaux, leur offrent une alternative naturelle et sans compromis sur la texture ou le goût.
En termes de chiffres, où en êtes-vous aujourd’hui ?
L’année dernière, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 300 000 euros, et cette année, nous devrions doubler ce montant. Notre objectif pour l’année prochaine est d’atteindre les 2 millions d’euros. C’est ambitieux, mais on avance de manière réaliste, notamment avec la grande distribution et la restauration collective. Nous avons financé l’entreprise grâce à des business angels spécialisés dans l’agroalimentaire, comme Augustin Paluel-Marmont (de Michel et Augustin), Patrick Asdaghi (fondateur de FoodChéri), et Bertrand Jelensperger (fondateur de La Fourchette). Nous lançons également une campagne de crowdfunding avec LITA, spécialisée dans les projets à impact. Cela va nous permettre de lever des fonds auprès de personnes qui partagent nos valeurs en matière d’impact et de santé.
Aujourd’hui, quelle est la taille de votre équipe ?
Nous sommes une dizaine de personnes, dont la moitié travaille en commercial pour gérer les points de vente. L’autre moitié se consacre à la R&D : notre laboratoire est situé au Plateau de Saclay, à Paris-Saclay. Nous avons une équipe exceptionnelle d’ingénieurs agroalimentaires, mais notre approche reste très axée sur la cuisine avec des chefs. Nous refusons d’utiliser des arômes ou des ingrédients artificiels, ce qui rend le développement de nos produits plus long, mais on s’assure ainsi que le goût provient uniquement des ingrédients naturels.
Avec des procédés de développement aussi longs, la fabrication est-elle également complexe ?
La fabrication est en réalité très simple, car il s’agit de vraie cuisine. Nous assemblons des ingrédients naturels – tomates, oignons, jacquier – pour créer des galettes que nous façonnons et conditionnons sans passer par des technologies de transformation complexes. Notre ambition est de revenir à l’essentiel, loin de la "novel food". On propose des plats comme on les aurait cuisinés il y a 50 ans, avec de vrais ingrédients.
Quels sont les aspects de l’entrepreneuriat qui vous motivent le plus ?
Ce qui me motive, c’est la liberté d’agir rapidement et de réinventer le projet au quotidien. J’adore travailler avec mon frère Bart : on se connaît bien, on se fait confiance, et on s’amuse. C’est ça, notre vraie réussite. Nous n’avons pas pour objectif de vendre l’entreprise ; l’idée est de rester en phase avec nos valeurs et de prendre plaisir dans ce que nous faisons. Honnêtement, je n’ai jamais été aussi heureux professionnellement. Même si cette année a été difficile, avec des retards dans le lancement de nouvelles recettes et des périodes de trésorerie tendues, nous restons motivés et prêts à faire face aux défis.
Quels sont justement les plus grands défis que vous avez rencontrés ?
La principale difficulté, c’est la patience. Quand il ne se passe rien, c’est dur de maintenir l’énergie. Par exemple, attendre dix mois pour sortir une nouvelle recette alors que nos clients l’attendent impatiemment, ou continuer d’animer les équipes malgré les périodes d’accalmie. Ce sont ces moments de creux qui sont les plus difficiles, car il faut puiser dans ses propres ressources pour garder la motivation.
Quelles sont vos perspectives pour Nudj ?
Faire connaître encore davantage nos produits, étendre leur distribution en GMS et dans la restauration collective, et atteindre la rentabilité à l’horizon 2026. Pour cela, nous cherchons actuellement à lever 1,2 millions d’euros, dont 400 000 via LITA pour ouvrir notre capital aux investisseurs citoyens engagés : rejoignez-nous !