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Olivier de Préville, Headhunting Factory : “Le point commun à chaque entrepreneur, c'est l'acceptation du risque.”

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Olivier de Préville, un entrepreneur toujours en mouvement

Crédit image : Headhunting Factory.

Olivier de Préville est un autodidacte au parcours atypique. Aujourd’hui à la tête de Headhunting Factory, l’un des plus gros cabinet de chasseurs de tête en Europe, il se confie sur ses débuts, de sa première société lancée à 19 ans au hasard des Pages Jaunes à sa vision de l’entrepreneuriat, toujours en mouvement.

Fondée en 2015, Headhunting Factory est le spécialiste de la vraie chasse de têtes pour les postes pénuriques de 25 à 50 k annuels. Avec 200 collaborateurs, le cabinet est spécialisé dans l'identification et le placement des meilleurs talents cachés pour les marchés sous tensions, en France et à l'international. Olivier de Préville, son fondateur, se livre dans cette interview très exclusive pour Pôle Sociétés sur ses méthodes de chasse, la gestion de sa croissance exponentielle et sa personnalité dynamique, inspirante.

Olivier, pouvez-vous vous présenter ?

J'ai 58 ans, je suis marié et père de trois enfants. J’ai toujours été 100 % autodidacte puisque j'ai arrêté mes études en troisième. Je me suis engagé dans les parachutistes très jeune, en régiment de combat, parce que je ne tenais pas sur une chaise. Lorsque j’ai quitté le régiment un an et demi plus tard, je n’avais pas de diplôme, et ma seule option était Pôle Emploi pour trouver un job. Je me suis donc dit que j’allais monter ma propre société.

Vous créez donc votre première société très jeune ?

À 19 ans exactement, en faisant quelque chose que je déconseille à tout entrepreneur : j'ai pris les Pages Jaunes et j'ai cherché les métiers qui pourraient m'intéresser pour monter une boîte. Donc exactement l'inverse de ce qui se fait : sans études de marché, sans argent. Je savais seulement que je voulais être mon propre patron et que je tracerai moi-même ma route.

J’ai eu la chance du débutant : dans les Pages Jaunes, je tombe sur le prêt-à-porter. J'ai 19 ans, je n'y connais rien, je n'ai aucune compétence mais je suis très commercial par nature. Je me dis alors que je vais tout simplement ouvrir des magasins. Je me suis rendu dans un salon de prêt-à-porter voir les stands et quand des vêtements me plaisaient, je disais aux gens avec beaucoup d’assurance : “J'ai 19 ans, je vais monter un magasin à Paris, puis un deuxième, puis un troisième, puis un dixième, est-ce que vous accepteriez de me livrer de la marchandise que je ne vous paye pas ?” Ils m'ont tous envoyé promener mais un homme m’a dit “Oui, ça s'appelle un paiement à termes échu. On vous livre et vous avez trois mois pour vendre, si vous ne vendez pas c’est le dépôt de bilan”.

Mes stocks sont arrivés mais j'avais fait les choses à l'envers : je n’avais pas de magasin. J’ai donc été voir des agences et je leur ai dit “Écoutez, il faut vite que je trouve un magasin mais je n'ai pas d'argent pour vous payer, est-ce que vous accepteriez que je vous paye à terme échu ?” J’avais appris le terme, et une dame propriétaire d'une boutique a fini par me faire confiance. J’ai organisé non pas 1 mais 5 inaugurations, et finalement au bout de la cinquième j'avais tout vendu. J’ai ainsi pu payer les loyers, les stocks, et c'était parti. J'ai ouvert un deuxième magasin, puis un troisième, ça a duré deux ans et demi et j’en ai eu assez d’attendre que les clients entrent dans ma boutique. J’avais envie de me former mieux à la vente. J'ai revendu mes trois magasins et j’ai trouvé un job dans la vente de photocopieurs. J'ai été premier vendeur pendant plusieurs années chez Minolta, j'avais vraiment ça en moi et puis un beau jour je suis allé vendre un photocopieur à un chasseur de tête. Il m'a dit : “Je vous achète votre photocopieur mais je vous achète aussi.”

C’est à ce moment-là que vous devenez chasseur de têtes ?

J’ai travaillé quatre merveilleuses années avec ce jeune entrepreneur en chasse de tête, que j’ai ensuite quitté pour monter mon propre cabinet, à la royale. À la royale, cela signifie que je suis parti sans voler sa clientèle, qui était aussi devenue la mienne. Cela s’est su dans la profession que j'avais plutôt des valeurs d'honnêteté et j'ai démarré tout seul dans une chambre de bonne. J'ai 26 ans et je recrute une assistante avec tout juste de quoi la payer. Le premier bon de commande arrive, un recrutement pour une entreprise américaine, et ce premier paiement m’a permis de prendre des bureaux et de commencer à recruter des stagiaires.

J’ai ouvert des bureaux en Inde, à l’Ile Maurice, à Londres. Et puis un jour, un client m’explique qu’il n’a pas de patrons à recruter tous les jours, mais qu’il cherche en revanche de nombreux techniciens. En creusant le sujet, je m’aperçois qu'il n'existe pas de cabinet qui fasse de la chasse sur des postes très techniques tout en bas de l'échelle des entreprises : cela reste du ressort des agences d'intérim et des cabinets de recrutement.

Vous opérez donc un virage dans votre cible de recrutement ?

Ce marché est extrêmement intéressant car il s’agit d’une population invisible, qui ne répond pas aux annonces car elle n’est pas en recherche, mais tout de même sur-sollicitée. J’ai donc opéré ce tournant et mis mes chasseurs sur ce marché caché, sur les postes de 20 à 45 000 € de salaire annuel. Nous sommes devenus le seul chasseur de têtes en Europe à se positionner sur ces postes parce que les pourcentages de rémunération sont trop faibles sur cette grille salariale. Opsearch par exemple, prend 30 % du salaire annuel brut d’un poste à 100K, donc 30 000 euros d'honoraires. Un technicien à 25K par an signifie 7 500 € d'honoraires pour une chasse beaucoup plus compliquée. Nous nous sommes positionnés sur cette niche délaissée mais il fallait encore trouver le business model et la méthode. Nous avons créé un système d'abonnement où le client va nous confier plusieurs de postes à la fois et nous verser un loyer mensuel, qui n'est pas élevé du tout au regard des postes qu'on va lui chercher.

Quelle est votre méthode de chasse ?

Linkedin est interdit chez nous. Nous identifions les entreprises et nous recréons les organismes. 3 à 4 personnes travaillent sur chaque mission : ce n’est pas du recrutement, c'est presque du journalisme d'investigation. On ne peut pas garantir à notre client qu'on trouvera le candidat mais on peut lui garantir que si nous ne trouvons pas, personne d’autre n’y arrivera. Nous appelons directement les profils qui nous intéressent car 80 % des postes pénuriques que nous recherchons concernent des candidats qui ne sont pas ouverts au marché. Ils nous envoient d’ailleurs tous promener quand ils finissent par décrocher et à force d’insistance, on finit par susciter une curiosité et ils écoutent notre proposition.

En creusant le sujet de leurs insatisfactions quotidiennes, on active quelque chose : “ Et si je vous disais que mon client a un poste à proposer à seulement 10 kilomètres de chez vous ? Vous n’êtes pas en bons termes avec votre patron ? Je vous en propose un nouveau. Vous dites que vous n’avez qu'un jour de RTT ? Là-bas il y en a deux.” Et finalement, ils finissent par s'ouvrir à un éventuel changement d’entreprise.

Cette méthode artisanale, à l’ère du digital et de l’IA, serait-elle la clé de votre succès ?

Nous nous situons vraiment dans une niche : la question qu'on pourrait se poser, c'est pourquoi nous n’avons pas de concurrent depuis cinq ans ? La raison est simple : pour aller chasser des techniciens ou des ingénieurs sur des rémunérations basses et qui sont invisibles, il faut y consacrer beaucoup de temps et avoir une vraie méthodologie de chasse de tête.

Je crois beaucoup à l’IA moi mais pas du tout aux soi-disants algorithmes qui permettent de trouver des candidats. Si aujourd'hui une entreprise ne dévoile pas le nom de ses collaborateurs, comment l’IA pourrait-elle savoir que Martin, technicien de maintenance à Aurillac dans une entreprise de 42 salariés, a fait telle formation et serait potentiellement intéressé ? Il faut aller à la pêche et appeler la petite société d’Aurillac, dont vous avez repéré qu'ils fabriquaient des pièces de fuselage pour l’aéronautique exactement comme votre client. C'est vraiment un travail de fourmi. L’IA en sera peut-être capable dans 2 ou 3 ans mais ce n’est pas encore le cas.

Combien d'entreprises clientes comptez-vous ?

Nous avons plus de 200 clients et 450 recherches en cours. Nous sommes passés d’une cinquantaine de salariés en 2015 à 200 salariés en 2024. Pour soutenir cette croissance, nous avons fait rentrer un fonds d’investissement, Ciclade, il y a huit mois. Nous visons 400 salariés chasseurs de tête d’ici 2 ans et avons pour objectif de doubler notre chiffre d’affaires. Nous avons également été classés 105ème des champions de la croissance 2024 Les Échos.

Qu'est-ce qui vous anime dans l'entreprenariat au quotidien ?

C'est tout simplement le fait d'entreprendre. Je suis boulimique de projets, ça peut être la construction d'une maison ou une mission caritative. J’aime me lever le matin sans savoir réellement à quoi ressemblera ma journée. La vie d'un entrepreneur est comme un électrocardiogramme, le jour où il est plat, vous êtes mort. Vous avez des hauts et des bas tous les jours, qui sont comme des shoots d'adrénaline. Un peu comme les coureurs qui ne peuvent plus s’arrêter de courir, ils sont arrivés à un tel niveau de dopamine qu’ils ont besoin de cette drogue. Personnellement, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne me drogue pas mais mon addiction c'est l'excitation provoquée par les projets que je suis en train de construire. J'espère que je m'arrêterai le plus tard possible.

Cette adrénaline dont vous parlez, est-ce quelque chose de nécessaire et d'intrinsèque à tout entrepreneur ?

Pas du tout, d’ailleurs c’est amusant parce que je fais partie d'un groupe d'entrepreneurs qui s'appelle Croissance Plus, une association fabuleuse où il y a plus de 400 entrepreneurs, et tous les styles y sont représentés. Vous avez l'entrepreneur geek, l'entrepreneur 100 % orienté finance, l'entrepreneur autodidacte, certains aimant le stress, d'autres le détestant. Le point commun entre nous tous, c'est l'acceptation du risque. Selon moi, ce qui différencie un entrepreneur d'un salarié, c'est l'acceptation de deux choses : l'acceptation du risque et le fait d'accepter que son quotidien soit un peu différent chaque jour.

Comment devient-on un bon entrepreneur ? Auriez-vous des conseils à partager ?

Si j'avais un conseil à donner à un entrepreneur, je dirais : apprenez à vendre. Cela ouvre toutes les portes. Il vaut mieux avoir une mauvaise idée et savoir la vendre quand vous êtes entrepreneur qu'avoir une excellente idée et ne pas savoir la vendre. Il y a tellement d'entrepreneurs qui sortent de polytechnique ou de certaines écoles avec une bonne idée mais qui ne savent pas la commercialiser… La boîte se plante alors qu’il y a plein de gens qui ont des idées moyennes qui cartonnent, parce qu’ils sont malins et sont de bons vendeurs.

Mon second conseil : savoir s’entourer des bonnes personnes. Je n’ai jamais rencontré trop de problèmes en tant qu'entrepreneur, j'ai eu la chance que ça marche dès le début, avec une croissance forte, non pas parce que je suis intelligent mais parce que je sais fortement m'entourer. J'ai énormément de lacunes et je connais parfaitement mes points faibles, donc je m'entoure de gens qui vont venir les compenser. Mon directeur général par exemple est un financier pur, je ne suis pas bon en finance et donc j’ai choisi quelqu’un de très capable. Il a fortement aidé à consolider la structure de ma société et a permis de faire rentrer le fonds d’investissement.

Troisième conseil : dans la tempête, n’affalez pas, ne baissez pas les voiles, sortez-les. Pendant le covid, les entreprises qui ont tout arrêté et attendu que ça passe ont tout perdu. Personnellement, j’ai doublé mon équipe commerciale pendant cette période grâce au PGE (Prêt garanti par l’État) et nous avons pu sortir plus vite de la tempête que les autres, qui n'avaient pas mis toutes les voiles.

Comment gérez-vous l'équilibre pro-perso, vous qui semblez ne jamais vous arrêter?

Je dîne tous les soirs chez moi, je suis marié avec la même femme depuis 30 ans. Je fais beaucoup de sport, mon autre drogue, qui me permet de rester en forme et d'équilibrer l'ensemble.

Je suis également très engagé depuis 30 ans à L’Ordre de Malte, le plus ancien organisme caritatif au monde, pour lequel je suis ambassadeur au Niger. Je travaille actuellement sur un projet très important d’hôpital au Niger, de lutte contre une maladie qui s'appelle la drépanocytose, première maladie génétique au monde qui touche toute l'Afrique de l'Ouest.

La drépanocytose, issue des formes sévères de paludisme, se caractérise par une déformation des globules rouges, qui normalement flexibles, deviennent rigides et obstruent les petits vaisseaux sanguins. Les doigts finissent par se nécroser et tomber dans des souffrances abominables, le pire étant que ça ne touche que les enfants, avec des risques élevés d'infarctus. Un Nigérien sur cinq porte le gène de cette maladie, ce qui représente environ quatre millions de personnes. Bien que la drépanocytose soit incurable, il est possible de gérer les crises avec des traitements spécifiques. Ce projet d'hôpital me tient énormément à cœur.

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  • Olivier, pouvez-vous vous présenter ?
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  • Vous opérez donc un virage dans votre cible de recrutement ?
  • Quelle est votre méthode de chasse ?
  • Cette méthode artisanale, à l’ère du digital et de l’IA, serait-elle la clé de votre succès ?
  • Combien d'entreprises clientes comptez-vous ?
  • Qu'est-ce qui vous anime dans l'entreprenariat au quotidien ?
  • Cette adrénaline dont vous parlez, est-ce quelque chose de nécessaire et d'intrinsèque à tout entrepreneur ?
  • Comment devient-on un bon entrepreneur ? Auriez-vous des conseils à partager ?
  • Comment gérez-vous l'équilibre pro-perso, vous qui semblez ne jamais vous arrêter?