Cette jeune startup de l’EdTech souhaite transformer les smartphones des élèves en outils pédagogiques. Plutôt que d’interdire son usage en classe, pourquoi ne pas utiliser ce matériel à des fins éducatives ? Entretien avec Hélène Azevedo, cofondatrice de ModCo.
Le projet ModCo est né en 2018 en réaction à l'interdiction des téléphones en classe par le ministre de l'éducation de l’époque, Jean-Michel Blanquer. Une nouvelle réglementation qui suscite des interrogations chez les adolescents et dans la famille de Sylvie Audrain, l’une des deux cofondatrices. En parallèle, Hélène Azevedo a repris ses études et effectué un MBA sur la transition numérique. Son sujet de thèse s’intéresse aux leviers pour rendre l'éducation plus attrayante chez les jeunes.
Les deux femmes se rencontrent et lancent ModCo, un outil pour encadrer l'utilisation des téléphones, omniprésents dans la vie des jeunes, en intégrant des pratiques éducatives pour lutter contre le cyberharcèlement, les fake news, et promouvoir l'esprit critique. Plutôt que d'interdire, elles réfléchissent à l’instauration d’un cadre éducatif pour préparer les élèves au monde numérique.
“On peut être spectateur ou acteur de son smartphone : scroller sans but ou l’utiliser intelligemment, même sur Tik Tok. Plus on transformera les adolescents en acteurs conscients, plus vite ils s’imprégneront de cette culture numérique et d’un bon usage du smartphone”, explique Hélène Azevedo.
Qu’est-ce que ModCo ?
ModCo se présente sous forme d’application mobile pour les élèves, reliée à une interface web pour le professeur, à laquelle il peut accéder via sa tablette ou son ordinateur. Lorsque l'élève entre en classe, il active ModCo sur son téléphone. Il va alors avoir accès à des contenus que le professeur lui partage : une vidéo de la BBC pendant un cours d’anglais, un lien vers un site, des ressources interactives proposées par un éditeur scolaire, des quiz, des padlets, etc.
“S'il veut aller faire autre chose, s'il veut aller sur TikTok, ce n’est pas le moment mais il peut le faire, ModCo ne bloquera pas le téléphone. En revanche, le professeur est averti que l'élève n'est plus sur ModCo.” L'élève comme le professeur ont accès au taux d'assiduité sur l’application, afin qu'il prenne conscience de ses usages et que l’enseignant puisse réagir et l’alerter.
L’entrée en sixième et le premier smartphone
Le projet ModCo nécessite bien évidemment la possession d’un téléphone, c’est pourquoi l’outil n’est proposé qu’à partir du collège, où l’entrée en sixième va généralement de pair avec le premier smartphone chez les élèves. La cofondatrice rappelle que le but de ModCo n’est pas de faire la promotion du téléphone, mais d’instaurer un cadre de bonnes pratiques : “Il y a bien sûr des élèves qui réclament un téléphone à leurs parents, en leur disant que c’est indispensable pour les cours. Ce n’est pas l’idée, nous souhaitons juste capitaliser sur cet outil somme toute très commun.” Et si l’enfant ne possède pas d’appareil, l’école peut fournir un dispositif de prêt.
Un enjeu économique et social majeur se cache également derrière ce projet : “ModCo concurrence les plans d'équipement individuel dans les écoles. Plutôt que de mettre une tablette derrière chaque élève, ce qui représente un coût énorme pour les établissements, nous proposons de capitaliser sur le téléphone déjà en possession de l’élève.” Pour l’école et les collectivités territoriales, équiper les quelques élèves qui n’ont pas d’équipement représente une économie d'échelle considérable, ainsi qu’un meilleur accès à l’égalité des chances.
ModCo comme alternative aux plans d’équipements individuels
L’école se digitalise, et dans certains départements, le budget dédié aux équipements peut monter jusqu’à 4,5 millions d'euros. En comparaison, la licence annuelle ModCo pour un établissement coûte entre 2 800 et 4 100 euros. Elle est également disponible par classe au prix de 90 euros par an. Pour les collectivités territoriales, qui dispensent le budget, l’économie est intéressante.
ModCo équipe aujourd’hui une trentaine d’établissements scolaires et une soixantaine de professeurs. “C'est en début, la nouvelle version de l’application est commercialisée depuis novembre 2022. Nous avons encore un gros travail d'accompagnement pédagogique et d’acculturation à fournir. L’usage du téléphone en classe est un sujet de débat dans l’opinion publique.”
Hélène Azevedo revient également sur les difficultés de financement du secteur de l’EdTech : “ Même si on propose un modèle SaaS, entre une start-up de la finance et du secteur public, le cycle de ventes va être beaucoup plus long et avec des petits budgets. Le secteur n’attire pas les investisseurs qui cherchent à vite multiplier leurs rendements. Nous sommes en revanche un secteur clé pour l'impact, et c'est pour ça qu’on se lève le matin.”
ModCo cherche actuellement à lever 400 000 euros afin d’accélérer sa commercialisation dans les établissements et d’investir dans le marketing. “Nous devons vite monter au niveau départemental. Si je travaille avec tout le département de la Vienne, par exemple, cela représente un chiffre d’affaires de 100 000 euros.” Et permettrait ensuite de diffuser ModCo au niveau régional.
En 2021, l’EdTech française réunissait 500 startups pour un chiffre d’affaires de 1,3 milliards d’euros. La crise du Covid et l’école à distance ont permis une accélération de l’éducation numérique et confirmé l’essor de ce secteur d’avenir.