La jeune fondatrice de BeInk, un outil d’IA pour transformer ses idées en images, n’est pas passée inaperçue sur le plateau de l’émission Qui Veut Être Mon Associé ? sur M6. Coup de cœur de Kelly Massol, qui a investi 500 000 euros dans son projet, Jeanne Le Peillet révèle les multiples facettes de son parcours dans cette interview exclusive pour Pôle Sociétés.
Jeanne Le Peillet, à la tête de BeInk Dream, a fusionné avec brio intelligence artificielle, neurosciences et design graphique dans un outil qui lui a valu une place de choix dans l’émission de M6, Qui veut être mon associé ?, où elle a su capter l’intérêt de Kelly Massol, la fondatrice des Secrets de Loly.
BeInk propose une IA générative française qui permet de transformer instantanément ses idées en images, croquis, dessins. Grâce à l’Intelligence Artificielle et à l’apprentissage homme-machine, la solution conçue par Jeanne Le Peillet permet de concilier arts et sciences pour décupler notre réflexion. La fondatrice de cette startup promise à un bel avenir nous éclaire sur son parcours, sa vision, ses choix de cheffe d’entreprise, dans une interview exclusive et passionnante.
Jeanne, ton parcours est peu commun. À 29 ans, tu as quasiment fait 10 ans d’études, été ingénieure en biotechnologie, docteure en génétique… Peux-tu nous raconter comment tu es devenue entrepreneuse dans l’IA ?
C’est une succession de choix, d’envies et de hasards qui m’ont menée là où je suis aujourd’hui. Pour reprendre depuis le début, j’ai grandi dans des écoles sympas, mais qui étaient répertoriées ZEP. En primaire, cela ne faisait aucune différence mais au collège, c’était plus compliqué. Je n'étais pas forcément une élève brillante au départ, j’ai dû beaucoup travailler par la suite. Par exemple en maths, je ne comprenais rien aux problèmes et en classe de CP, j’étais persuadée que j’allais redoubler.
Et puis au collège, il a fallu choisir ma seconde langue vivante. Entre l’espagnol, le portugais et l’allemand, rien ne me convenait. Je me suis donc décidée pour le chinois, une langue incroyable où on dessine, on chante… C'est important car c’est ce choix qui m'a propulsée dans un lycée d'élite, à Louis-Le Grand. Ils avaient besoin de remplir leur classe de chinois et j’ai bénéficié de la politique des quotas : une personne de mon collège ZEP pouvait partir là-bas chaque année. Je suis un enfant des quotas et j’en suis fière, je trouve ça d’ailleurs très triste qu'on tape sur les quotas aujourd'hui car c’est une vraie chance dans la vie.
Quelle place a pris le chinois dans ta vie ?
Je le parle moins qu’avant mais durant mon lycée - Louis-Le Grand ne fait jamais les choses normalement - j’avais tous mes cours de mathématiques en chinois. J'ai même passé mon bac de maths en chinois ! Bien évidemment, cela va sans dire que j’ai redoublé ma première année à Louis-Le Grand mais on avait un sacré bagage dans cette classe et ça me plaisait bien. Je suis ensuite partie en prépa BCPST (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) à Fénelon et je continuais en même temps les cours de chinois à Henri IV. Une fois en école d’ingénieur, j’ai effectué un semestre d’études dans une université hyper spécialisée en biologie de synthèse à Taiwan.
Tu souhaitais donc initialement te diriger vers la biologie ?
J'ai choisi cette prépa BCPST parce que je souhaitais conserver une formation pluridisciplinaire. C'était ma priorité dans la vie, et à ce titre-là je ne me reconnaissais pas dans le modèle universitaire. En BCPST, tu étudies la géologie, la géographie, la philosophie, l'informatique, les maths physiques… C’était génial.
Et puis j'ai débarqué dans une école d'ingénieur, car c'est la suite logique de la prépa, mais sans savoir ce qu'était une école d'ingénieur post prépa bio. Et là je n’ai pas du tout aimé le programme d’agronomie : apprendre à nourrir des cochons, à porter du blé… Les maths étaient réduites à un art décisionnel, et moi ce qui me plaisait c'était tout ce qui était invisible : l'ADN, les fondamentaux de physique, etc. C’est à la fin de mon école que j’ai pu me spécialiser en biotech, un secteur qui commençait à devenir de plus en plus tendance, sans que je le sache vraiment.
Et tu as choisi de faire une thèse ?
Je voulais absolument faire une thèse parce que le diplôme d'ingénieur est mal reconnu en dehors du sol français, et notamment à Taïwan. Et puis je ne voulais pas commencer une thèse à 50 ans, ni y passer 10 ans : j'avais été très claire avec mon directeur de thèse, c’était trois ans, pas dix. Mon sujet portait sur la génétique fondamentale, comment comprendre les premières étapes de déclaration du cancer pour ensuite créer des médicaments de contrôle.
C’était très intéressant mais assez mono-disciplinaire. En parallèle, je n’avais jamais abandonné le dessin pour comprendre, apprendre, communiquer. Et j’étais sollicitée comme artiste scientifique par des entreprises, des labos, des universités pour mettre en image leurs inventions, leurs technologies, leurs résultats de recherche. Lorsqu’on souhaite publier, breveter ou obtenir des financements, il faut mettre ses idées en images. Ça fait partie de la communication.
C’est donc de ce side project en parallèle de ta thèse qu’est née l’idée de BeInk ?
Je n’avais pas forcément prévu de devenir artiste scientifique mais ça m’a permis de réaliser plusieurs choses : quand on présente le visuel demandé au commanditaire, ce qu'il avait en tête est bien là, mais il se met à avoir des nouvelles idées, à avancer dans sa réflexion, à se dire, tiens, on pourrait faire ci, ça. Mais je n’allais pas recommencer et changer mon dessin toutes les 5 minutes parce que son idée évoluait.
L’autre constat, c'est que quand tu fais toi-même l'effort de gribouiller, tu te poses des questions que tu ne te poserais pas du tout autrement. Je donne souvent cet exemple : un scientifique était venu me voir en me disant “Je viens de découvrir que la protéine A et B interagissent, il faut absolument un visuel pour que je puisse publier ça.” Quand j'ai commencé à dessiner, je me suis dit mais qu’est-ce que ça veut dire interagir ? Est-ce qu'elles se touchent ? Et si elles se touchent, où et comment ? etc.
Autant de questions que la personne créatrice de connaissances, peu importe sa discipline, doit se poser elle-même. Et donc, pendant ma thèse, je me suis dit que j'aimerais bien créer un outil qui permette aux gens non seulement de communiquer facilement avec d'autres personnes sans déperdition d'informations, mais de pouvoir utiliser le dessin comme outil de réflexion. Et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler sur ce projet, sans imaginer un seul instant en être là aujourd’hui.
Tu avais déjà l’idée d'implémenter l’IA dans ton outil ?
Je n’avais aucune connaissance en IA, j'ai appris en essayant de faire des choses qui ne fonctionnaient évidemment pas mais j'ai commencé à mettre les mains dans le cambouis à ce moment-là. Je suis allée rencontrer des gens avec mon début d’outil mais quand on n’a pas le langage d’expert, c’est difficile de communiquer. Et c'est aussi pour ça que ce projet m'importe autant : il permet à tous de communiquer ensemble, peu importe son niveau d'expertise, son niveau social, son genre… Tout passe par le visuel. Je voudrais que mon outil existe comme langage universel des cerveaux. Aujourd'hui, ce n'est pas moi qui fais l'IA, ça me prendrait un peu de temps.
Mais ce n'est pas moi qui ai eu l'idée de mettre de l'IA derrière mon outil : c’est en parlant de mon projet que des gens m'ont dit : ”pour faire ce que tu veux, il faut que tu utilises de l'IA.” C'était en 2021, bien avant la sortie de Midjourney ou DALL·E. Mais d’autres me disaient alors que ce que je voulais créer était impossible, donc j’ai plutôt bénéficié de la vague d’IA et de la possibilité de tester des choses en open source à moindre coût.
Est-ce que tu t'imaginais devenir entrepreneuse ? Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
Je ne savais pas ce que c'était, être entrepreneur. Mon père est artiste indépendant, ce qui est une certaine forme d'entrepreneuriat, mais je ne l'avais jamais identifié comme tel. Mes deux premières années ont été très dures : j’étais seule et je ne savais absolument pas par quel bout commencer. Donc, j’ai commencé par le mauvais bout, créé ma première structure trop tôt. J'avais très peu d’argent aussi, ce qui rendait la partie test difficile.
Et puis j’ai découvert le réseau Pépite Sorbonne, qui a été un énorme tremplin. Au début, je pensais qu’il s’adressait aux personnes qui avaient des résultats en thèse de labo, par exemple, et qui voulaient en faire une entreprise. Je me demandais où vont les gens comme moi qui ont un projet professionnel, indépendant de leur sujet de recherche ? Je suis allée les rencontrer et ils m’ont proposé de m’accompagner. Ce réseau Pépite permet de s’entourer de gens qui sont très bons et expérimentés par rapport à d'autres incubateurs, où la moyenne d’âge est souvent très jeune. Pépite a été un extraordinaire premier tremplin, tout comme mes premiers prix.
Parlons justement de ton impressionnant palmarès de prix. Ils t’ont confortée dans ton projet ?
C’est super de remporter des prix, mais ça peut aussi porter préjudice avec des réflexions comme “elle a développé une idée, elle se contente d'aller chercher des prix.” Je le vis assez mal car je pense qu’il y a plusieurs manières d'entreprendre. Il y a ceux qui ont les compétences en interne et qui peuvent, avec leurs amis, ou eux-mêmes, développer quelque chose. Il y a ceux qui n’ont pas les compétences mais qui ont l’argent, donc ils peuvent aller chercher les compétences. Et puis il y a ceux qui ont ni l'un ni l'autre, comme moi. Et donc, mon seul levier d’action, c’était de communiquer à fond alors que je n’avais rien de concret dans les mains. C'est très compliqué psychologiquement de communiquer sur quelque chose qui n’est pas vraiment commencé, avec des idées, des prototypes, des maquettes, mais sans réelle preuve de marché. Ça permet cependant de confronter son idée avec des experts de différents domaines. Le projet a vraiment grandi comme ça.
Pour le concept, on pouvait montrer que ça fonctionnait mais sans les IA propriétaires derrière. On est en bidouillage constant, c'est là que le mindset ingénieur est sympa, tu fais du bricolage avec ce que tu as dans les mains et de manière très frugale. On continue d’ailleurs ainsi parce qu'on n'a pas levé 20 millions d'euros, mais cet aspect me plaît dans l’entrepreneuriat.
Pourquoi as-tu choisi de participer à l’émission Qui Veut Être Mon Associé sur M6 ?
Ils m’ont contactée en avril 2023, je ne connaissais pas l’émission. Une journaliste avait vu passer BeInk et m’a convaincue de déposer un dossier de candidature. J'ai déposé les statuts fin avril 2023 donc j'ai un peu vendu la peau de l'ours avant même d’avoir commencé à chasser ! Mais ça a tout de suite bien fonctionné entre nous. M6 cherchait des projets Deeptech et IA parce que tout le monde en parlait, mais la Deeptech est assez peu télévisuelle. BeInk, avec nos dessins, l’était. Quand j'ai su que j'étais acceptée, j’avais jusqu'à octobre pour monter l'équipe, les financements, créer un prototype interactif. J'ai énormément travaillé durant cette période.
Tu as eu des mots forts à l’écran, sur le fait d’être une femme dans la Tech, une femme dans la recherche scientifique… Le féminisme, est-ce un combat pour toi ?
Je n'ai jamais autant compris que j'étais une femme que depuis que j'entreprends. On me le dit tous les jours, comme si je ne savais pas que j'étais une femme. Je suis très sollicitée sur ce sujet car nous sommes environ 2 % dans la Deeptech, mais au départ ce n’était pas un sujet pour moi. J’ai des role models aussi variés qu’Indiana Jones, Léonard de Vinci, Einstein, Marie Curie, peu m’importe leur sexe.
Mais je comprends que les femmes aient peur de se lancer dans l’entrepreneuriat puisqu'on n'arrête pas de leur dire qu'elles sont peu nombreuses, que c'est plus dur, que la société a des biais, qu’elles ont elles-mêmes des biais… Et je pense qu'il y a deux manières d'aborder ce point : soit il y a des jeunes filles ou des moins jeunes filles qui ont déjà conscientisé cette barrière, et donc en parler ne peut que les aider. Soit, et je pense que c'est le cas d'un certain nombre de jeunes filles, elles n’ont encore jamais conscientisé ces biais. Je trouve que c'est nocif de le leur rappeler tout le temps : si on m'avait rabâché durant toute mon enfance à quel point les hommes et les femmes sont différents, je n’aurais peut-être jamais choisi cette voie professionnelle.
Je n’ai pas la solution à ce problème mais je trouve ça toujours étonnant qu’on n’invite que des femmes dans des évènements pour parler de la place des femmes dans la Tech. Pourquoi on n’invite pas les hommes à la table ? Pourquoi, lorsqu’on parle des biais aux collégiennes, on n’invite pas les collégiens ? Ça devrait être un effort commun. Par exemple, au Maroc, les filles qui choisissent les filières scientifiques sont hyper nombreuses. Le problème est peut-être finalement dans la mentalité française puisqu’ailleurs ça ne semble pas en être un. Je crois profondément au langage universel des cerveaux, peu importe qu’on soit homme ou femme, et c’est ma vision derrière BeInk.
Qu’est-ce que t’a apporté l’émission ?
Elle m’a fait avancer plus vite que prévu, c’est certain. L’investissement de Kelly Massol était ma première levée de fonds. L’idée est désormais d’aller en chercher une seconde, autour de 3 millions d’euros d’ici la fin de l’année. Et Kelly va m’aider sur ce plan, elle m’a expliqué qu’on ne levait pas des fonds sans être accompagnée : être accompagnée, ce n'est pas par des gens de ton équipe, mais par des gens qui s'y connaissent. Ça paraît évident mais en réalité, personne ne me l'avait dit. Elle doit m’aider à connaître les codes, à tester le business plan, à définir ce qu'on va rechercher. J’ai besoin d'un retour concret de gens qui sont de l'autre côté du miroir. Et elle va également m’appuyer sur la communication de nos futurs lancements, où elle excelle.
Autrement, son investissement m’a permis de recruter et développer à fond notre technologie. On va aussi aller chercher nos premiers clients, en preuve de concept puisque l’outil n’est pas terminé. Mais depuis et grâce à l’émission, on a déjà plusieurs milliers de personnes en liste d'attente sur notre outil.
Qui sont justement les clients de BeInk ?
Toutes les entreprises qui ont besoin de cet outil, essentiellement les départements de Recherche & Développement mais qui englobent beaucoup de secteurs, de l'automobile au luxe, à tout et n'importe quoi, en fait.
Ce qui est à la fois notre force et notre faiblesse, car on donne l'impression de s'éparpiller. Mais notre force, c'est que BeInk a justement pour but de s'adapter aux outils déjà existants sur le marché dans chacun des secteurs. Avec un objectif clair : comment faire passer rapidement une idée, comment la faire comprendre sans déperdition d'informations, comment mettre son client dans notre tête. BeInk permet entre autres d’être sûr que le prestataire a bien compris ce que tu voulais faire, parce que le pire pour une entreprise, c'est d'aligner du temps et de l’argent pour un résultat final qui ne ressemble pas à ton idée originelle.
On s'est dit “ouvrons les valves, nous verrons qui arrivera en premier” : et il y a deux gros secteurs qui se sont montrés particulièrement intéressés, l'industrie du luxe et du prêt à porter et les promoteurs immobiliers, incluant architectes, décorateurs d'intérieur, etc.
Alors que tu t'attendais peut-être à des centres de recherche, des Biotech, des Medtech ?
Je pense que nous adresserons mieux les centres de recherche dans un deuxième temps, car l’outil n’est pas encore assez précis. Mais c’est un sujet qu’on travaille car les universités et les labos de recherche nous attendent de pied ferme. Mais ce n’est pas le premier qu'on a voulu adresser car nous avons besoin d’une IA vraiment très différente de ce qu'on appelle plus la CREA.
On procède également étape par étape pour limiter les levées de fonds énormes parce que nous ne sommes pas aux États-Unis et nous n’aurons pas 20 millions d'euros qui tombent à chaque tour de table, il faut en avoir bien conscience.
Quelles sont les prochaines perspectives de développement pour BeInk ?
Aujourd’hui nous nous concentrons sur le premier BeInk Dream, qui est vraiment un tableau blanc numérique qui permet aux gens de transformer leur gribouillis en dessins compréhensibles par tous, itérables à l’infini. L'idée est de stimuler la réflexion par la capacité à visualiser ses pensées en temps réel. Mais nous avons d'autres types de développements en cours avec nos partenaires, vers la 3D, l'animé… Je n'en dis pas beaucoup plus parce que je garde des surprises !
Et puis l'équipe continue de grandir, il faut qu'on recrute cette année, un développeur notamment. On a rejoint l'incubateur Agoranov qui est une figure de proue dans le secteur des startups Deeptech et on est hébergés au Sky, le centre d'IA de Sorbonne Université. On bénéficie ainsi de leur force de calcul, de leurs serveurs et de leurs bureaux : nos fenêtres donnent sur l'enclos des flamants roses du Jardin des Plantes, un bonheur quotidien.
Un mot pour la fin, un conseil ?
J'ai démarré mon entreprise avec 100 euros sur mon livret A, qui ont été transformés en 670 000 euros grâce à Kelly Massol, à des prêts Entreprendre, à Bpifrance : tout est possible ! Pour réussir à diriger des projets ambitieux avec peu de moyens, je pense qu’il faut miser sur sa capacité à rêver grand et à embarquer les gens dans sa vision. Mais aussi être super pragmatique, avancer étape par étape, et ne pas se poser trop de questions.