Avec 7 millions d’utilisateurs, Gymglish s’est construit une solide réputation dans l’apprentissage des langues en ligne. Fondée en 2004 et basée sur l’adaptive learning, la startup mise aujourd’hui sur l’intelligence artificielle pour pratiquer l’oral de façon naturelle. Rencontre avec Eloïse Ghertman, CEO de Gymglish.
En 2004, Gymglish voit le jour avec une mission claire : rendre l'apprentissage de l'anglais plus accessible et agréable, loin des souvenirs peu engageants de l'école. L'idée fondatrice repose sur l'humour, la scénarisation et une forte personnalisation pour stimuler la motivation des apprenants. Gymglish s'appuie sur deux piliers : un contenu culturel riche et scénarisé, et une technologie d'adaptive learning qui s'ajuste aux intérêts, au rythme et aux besoins de chaque apprenant.
Avec un taux d'assiduité avoisinant les 80%, Gymglish cible d’abord les adultes de niveau intermédiaire, avant d'élargir son offre aux débutants, notamment pendant la crise du COVID-19. Mais un défi subsistait malgré tout : la pratique de l'oral.
La déferlante ChatGPT et la création d’AImigo
Après un parcours d’éditrice de littérature générale, Eloïse Ghertman rejoint Gymglish en 2012 en tant que manager de l’équipe de contenus pédagogiques. Elle devient CEO de l’entreprise en septembre 2022, à la veille de la déferlante ChatGPT. “Nous avions la chance d’avoir en interne un spécialiste de l’IA, l’auteur de notre algorithme maison. Un mois avant la sortie de ChatGPT, il est arrivé en disant “Eureka, je sais comment on va faire pratiquer l’anglais à l’oral.”
Le sujet est alors récurrent chez Gymglish : comment faire pratiquer l’oral de façon fluide et naturelle ? “On avait envisagé des choses mais les technologies de reconnaissance vocale n’étaient pas encore assez au point ou mal adaptées. Et tout d’un coup, il devenait possible de parler de manière naturelle et fluide avec une IA. Nous nous sommes servis des LLM et y avons imbriqué d’autres briques technologiques (le speech to text et le text to speech) pour réussir à faire dialoguer une IA et une personne.”
La première version d’AImigo sort en octobre 2023 et permet aux utilisateurs de dialoguer avec le héros de séries d’épisodes déjà existants sur Gymglish, comme Victor Hugo pour les cours de français langue étrangère (à destination du public étranger). “Forts de nos 20 ans d'expertise en pédagogie, nous avons bien plus qu'un simple assistant à la manière de ChatGPT. AImigo se distingue par son rôle de véritable coach, capable de s'adapter au profil et aux centres d'intérêt de chaque utilisateur”, poursuit Eloïse. Contrairement à d'autres IA, AImigo possède une forte personnalité
En mars 2024, une nouvelle version voit le jour et offre aux apprenants la possibilité de discuter librement de tout sujet, de politique comme de ses prochaines vacances ou des tableaux de Monet, tout en recevant des corrections en temps réel. L’entreprise prévoit encore de nouvelles évolutions pour répondre aux besoins spécifiques des utilisateurs : “s’ils n’ont pas d’idées de sujets de conversation, nous intégrerons bientôt les histoires de nos séries éducatives.”
Le pari de l’IA générative pour séduire de nouveaux publics
Gymglish, qui enseigne actuellement cinq langues et compte un total de 7 millions d'utilisateurs, s’est imposé comme un acteur clé dans le domaine de l'apprentissage des langues. Malgré une communication encore discrète autour d'AImigo, son IA générative, l’entreprise prévoit d'intensifier sa stratégie une fois les évolutions en place.
Eloïse Ghertman ajoute : “AImigo joue un rôle central dans notre démarche visant à toucher un public plus jeune, un segment où nous avons encore une marge de progression. Notre modèle économique repose sur une application payante avec un système d'abonnement, démarrant à partir de 10€/mois”. Un tarif accessible qui pourrait séduire les étudiants comme les seniors.
Quel avenir pour l’EdTech et l’apprentissage des langues ?
En France, le secteur de l’EdTech a connu un véritable boom durant la période du Covid-19, porté par une demande accrue pour des solutions d’apprentissage en ligne. Cependant, cet engouement s'est révélé largement conjoncturel. Avec la fin de la crise sanitaire en 2022, le secteur a fait face à un retournement brutal : les investisseurs, initialement enthousiastes, ont rapidement recentré leur attention sur des critères de rentabilité immédiate, laissant de nombreuses entreprises sans soutien financier. Aujourd'hui, malgré des prévisions optimistes qui tablent sur un doublement, voire un triplement de la croissance du secteur dans les deux prochaines décennies, les levées de fonds restent modestes.
Comment Gymglish tire son épingle du jeu dans ce contexte ? “Nous avons la chance de bénéficier d'une base solide, construite sur 20 ans d'expérience. Notre autofinancement pendant 14 ans nous a permis de rester indépendants de la sphère financière, ce qui est un atout majeur dans un secteur aussi compétitif. Cependant, il est indéniable que la concurrence est féroce, surtout face à des acteurs comme Babbel ou Duolingo, qui disposent de centaines de millions d’euros de budget marketing.”
La stratégie de Gymglish, ajoute la CEO, repose avant tout sur “la qualité exceptionnelle du produit, qui se distingue par un contenu riche et adapté aux besoins des apprenants. Mais dans un marché saturé, il est également crucial d'investir dans le marketing pour maintenir et accroître notre visibilité. C’est un équilibre délicat, mais nécessaire pour continuer à se démarquer dans cet environnement exigeant.” Plus d’1,5 milliard de gens à travers le monde apprennent une langue en ce moment même, un chiffre en constante augmentation. Et il y a fort à parier que les avancées de l’IA rendent cet apprentissage de plus en plus naturel et agréable dans les années à venir.