Lancée en 2019 par Aymeric Grange et Thomas Arnaudo, 900.care a réussi à se créer une place de choix dans l’industrie des produits d’hygiène rechargeables et respectueux de l’environnement comme des portefeuilles des consommateurs. Aymeric Grange retrace pour Pôle Sociétés l’histoire de son parcours entrepreneurial.
Présentés sous forme de bâtonnets à dissoudre, les produits 900.care cherchent à remplacer les traditionnels gels douche, dentifrices, déodorants et leurs contenants en plastique. La startup a tout récemment lancé une nouvelle gamme de produits pour la maison : lessive et tablettes lave-vaisselle, sans film microplastique et hydrosoluble.
En seulement trois ans, 900.care a vendu près de 4 millions de pastilles de produits d’hygiène à dissoudre, soit une économie de production de 4 millions de bouteilles en plastique. L’entreprise compte aujourd’hui environ 90 000 clients et 235 000 abonnements actifs. Sa récente levée de fonds de 21 millions d’euros doit lui permettre de soutenir sa croissance et d’amorcer son virage à l’international. Pour comprendre la genèse et les mécanismes d’un tel succès, Pôle Sociétés s’est entretenu avec Aymeric Grange, l’un des deux fondateurs.
Quel a été votre parcours avant 900.care ?
J’ai aujourd’hui 34 ans et je suis le cofondateur de 900.care, une startup lancée fin 2020 avec mon associé et ami Thomas Arnaudo, que j’ai rencontré en école préparatoire à Lyon. J’ai ensuite suivi un cursus à HEC, tandis que Thomas partait à l’EDHEC et s’orientait vers l’entrepreneuriat. De mon côté, j’ai rejoint le Boston Consulting Group, à Paris puis à New-York, où j’ai fait du conseil en stratégie pour des marques. C’est là que j’ai commencé à m’intéresser à l’industrie des produits d’hygiène corporelle, qui a très peu évolué depuis les Trente Glorieuses et innove seulement à la marge avec, par exemple, un déodorant qui va tenir plus longtemps ou un dentifrice qui blanchit plus. Je me suis donc demandé comment réinventer cette industrie : c’est un sujet que je trouve passionnant et il y a beaucoup à imaginer pour les produits et leur distribution.
Comment est née l’idée de 900.care ?
L'idée de 900.care est née d'un sentiment d’incrédulité face aux pratiques de l'industrie traditionnelle de l'hygiène. Pour vous donner une idée, imaginez que dans un gel douche classique, il y a 90 % d'eau et seulement 10 % d'ingrédients actifs, le tout emballé dans du plastique. Cela soulève plusieurs problèmes. D'abord, il y a l'impact environnemental : on utilise et on jette bien trop de plastique. Ensuite, le transport de l'eau que contiennent ces produits génère une quantité significative d'émissions de carbone. Et il y a aussi une question de respect du consommateur. En réalité, on paye pour des choses dont on n'a pas besoin : on paye pour transporter de l'eau alors qu'on en a déjà chez nous, on paye pour une bouteille en plastique qui coûte la moitié de ce que coûte la production d'un gel douche. On a donc eu l’idée et l’envie de réinventer cette industrie en se concentrant uniquement sur la production et l’envoi des ingrédients actifs.
Pourquoi ce nom 900.care ?
Pour 900 secondes = 15 minutes, le temps qu’on passe chaque matin et chaque soir dans sa salle de bains. Notre volonté est de faire de ce temps des secondes qui comptent, pour prendre soin de soi, de la planète, du portefeuille.
En pratique, comment ça marche ?
On commence par envoyer à nos clients une bouteille réutilisable, conçue pour durer. Avec cette bouteille, vous recevez des bâtonnets contenant les ingrédients actifs. Il suffit de les mettre dans la bouteille et d'ajouter de l'eau pour obtenir votre gel douche. Nos produits conservent la texture, l'arôme et la sensation d'un gel douche traditionnel, mais ils sont nettement plus respectueux de l'environnement et très abordables. Actuellement, notre gel douche est vendu à 2€49. Ce prix est le résultat de notre engagement à rendre ces produits accessibles à plus de gens en augmentant les volumes de production. Au début, il coûtait 6€, puis il est passé à 3€50. À 2€49, il coûte moins cher que les gels douche classiques que vous trouvez en grande surface, tout en offrant une meilleure qualité : naturel et très bien noté sur Yuka. Pourquoi ce prix est-il possible ? Parce que nous investissons dans la qualité du produit plutôt que dans des flacons en plastique ou dans le transport d'eau.
Quel est votre business model ?
900.care est vendu uniquement en ligne, via un système d’abonnement, une façon pour nous de court-circuiter les distributeurs et les intermédiaires, pour avoir le meilleur produit possible au prix le plus abordable possible.
Comment se sont déroulés les débuts de votre startup ?
Les débuts de 900.care ont été marqués par cette idée un peu folle d’aller se confronter aux gens de l’industrie. Nous avons démarré notre aventure avec une campagne de prévente sur Ulule et KissKissBankBank, où nous avons battu les records de financement dans notre catégorie sur les deux plateformes, preuve d’une traction assez forte.
Le site a été mis en ligne en décembre 2020 et notre croissance a commencé à prendre forme. En 2021, nous avons tenté de percer le marché du retail en plaçant nos produits dans une centaine de magasins Monoprix. Cette expérience n’a pas été très concluante, sans doute parce que le produit était très novateur et avait besoin d’être expliqué, mais aussi parce qu’il est beaucoup plus petit et moins visible qu’une bouteille de gel douche. Un inconvénient qui s’est en revanche révélé être un avantage pour l’e-commerce car nos produits, petits et légers, sont économiques à livrer et peuvent être envoyés directement dans une boîte aux lettres. En 2022, nous avons donc décidé de nous focaliser sur l’e-commerce avec un modèle d'abonnement, qui a depuis connu une très belle croissance : on compte aujourd’hui 90 000 abonnés, et 240 000 abonnements (en comptant tous les produits). Nous avons récemment étendu nos activités en Italie et en Espagne, et en seulement trois mois, ces nouveaux marchés représentent déjà 10 % de notre base de clients.
Comment financez-vous cette croissance impressionnante ?
Nous avons effectué deux importantes levées de fonds : la première en 2021 pour un montant de 10 millions d'euros et une autre plus récemment de 21 millions d'euros. Pourquoi avoir levé autant d’argent ? Notre objectif est clair : concurrencer les leaders du secteur. Pour y parvenir, il est essentiel de proposer des prix compétitifs. L'industrie des produits d'hygiène fonctionne selon une logique d'économie d'échelle : il est donc crucial d'atteindre un volume de production élevé pour réduire les coûts unitaires. Nous avions deux options : la première, réduire les coûts puis les prix, nous semblait trop lente. Nous avons opté pour la seconde approche, plus dynamique, consistant à baisser les prix immédiatement et à réduire les coûts grâce à l'augmentation des volumes, ce qui nécessite, en revanche, un financement externe.
Comment vos produits se différencient-ils de la concurrence qui arrive sur ce secteur ?
Les produits 900.care sont formulés à Paris et fabriqués dans notre usine principale de Saint-Étienne, selon une technologie de compression de la poudre qui nous est propre. Notre produit est novateur par sa formulation : nous avons relevé le défi technique de conservation de la texture en ayant un produit à dissoudre. Le processus d'industrialisation est également un élément clé de notre différenciation : compacter de la poudre est une opération complexe que peu parviennent à maîtriser. Contrairement à nos concurrents qui offrent des poudres à diluer, nos bâtonnets comprimés apportent une valeur ajoutée significative tant en termes de performance que d'usage.
Aviez-vous imaginé devenir entrepreneur ?
L'idée de devenir entrepreneur m'est venue assez tardivement. Issu d'une famille de médecins, cet univers m'était étranger. Pendant longtemps, notamment durant mes années d'études, l'entrepreneuriat me semblait être une voie particulièrement risquée. Mais au fil du temps, plus j’avançais, plus j’avais envie de pratiquer une activité compatible avec mes valeurs, où mes actions au quotidien feraient avancer le monde dans le bon sens. L'entrepreneuriat s'est révélé comme le moyen d'atteindre cette indépendance, me permettant d'agir en totale adéquation avec mes principes. Cette voie offre la possibilité de prendre des décisions rapidement, de voir les résultats immédiats, d'expérimenter, de faire des erreurs et d'apprendre de celles-ci. Maintenant que je suis dedans, je vis les années les plus heureuses de ma vie professionnelle, et je me demande même parfois pourquoi je ne me suis pas lancé plus tôt.
Quelles sont vos difficultés au quotidien en tant qu’entrepreneur ?
La fameuse image des montagnes russes décrit bien la réalité. Les débuts sont très durs psychologiquement : on a commencé à travailler sur le projet en juillet 2019 et on a lancé le site en décembre 2020, quasiment un an et demi plus tard. Pendant tout ce temps, il faut s’appuyer sur sa force de conviction. Et puis l’entrepreneuriat est chargé émotionnellement : il faut prendre des décisions difficiles, parfois se séparer de collaborateurs. Ce n’est pas la voie de la facilité mais c’est une forme de travail très épanouissante et valorisante. Nous avons cependant eu la chance d’entreprendre dans de bonnes conditions, notamment grâce à une levée de fonds réussie assez tôt dans notre parcours, ce qui a facilité notre développement initial.
Quelles sont les bonnes leçons que vous avez retenues jusqu’ici et les meilleurs conseils que vous donneriez à un entrepreneur ?
Un conseil dont j’ai pu faire l’expérience : trouvez un associé ! Et qu’il soit complémentaire, c’est-à-dire très différent de vous. Thomas a un parcours totalement distinct du mien. Au début, cela désarçonne car on réfléchit différemment : j’aurais sûrement été plus à l’aise au démarrage avec quelqu’un qui faisait du conseil, qui parlait le même langage que moi. Mais assez rapidement, on se serait marché sur les pieds. Il faut donc accepter de travailler avec quelqu’un qui soit très différent. Car ce qui est le plus difficile dans l’entrepreneuriat, c’est la gestion de l’équipe et de l’humain. Pour cela, on a codifié très tôt notre culture d’entreprise, nos valeurs, notre façon de travailler, qu’on renforce en permanence.
Et mon second conseil : être diligent dans le recrutement et se séparer rapidement des gens quand cela ne fonctionne pas. Pour éviter ce genre de situations, nous recrutons maintenant sur deux axes : la compétence pour le poste bien sûr, et le “fit” culturel. Entre ces deux critères, nous privilégions l'intégration culturelle. Il est en effet souvent plus complexe d'adapter quelqu'un à la culture d'une entreprise que de lui permettre de développer ses compétences techniques.
Où trouvez-vous vos inspirations au quotidien ?
Je lis beaucoup, en particulier les biographies. Récemment, j'ai été particulièrement inspiré par "L'Art de la victoire", la biographie de Phil Knight, le fondateur de Nike, ainsi que par celle d'Elon Musk. Ces lectures sont précieuses car elles montrent que même les parcours couronnés de succès impliquent de nombreuses épreuves. Elles me permettent de gagner en perspective. J'écoute également le podcast "Génération Do It Yourself", qui propose une approche franche et axée sur la longévité. En outre, mon associé et moi-même faisons un point d'honneur à rencontrer régulièrement d'autres entrepreneurs. Cela nous permet de sortir de notre quotidien et de stimuler notre créativité par le partage d'idées nouvelles.
Quels sont vos objectifs futurs pour 900.care ?
On est à 10 millions de chiffre d’affaires, notre objectif est d’atteindre les 100 millions d’ici 4 ans. Nous avons de grandes ambitions et on se bat tous les jours pour y arriver. Nous sommes sur un marché très large, avec un positionnement unique.