Ancienne journaliste, Virginie Franc-Jacob a créé Ma vie en Livre en 2023, une startup spécialisée dans le domaine du livre souvenir. L’application permet d’écrire facilement un livre personnel qui retrace un moment de vie. Pole Sociétés a rencontré sa fondatrice.
L'écriture fait partie intégrante de la vie des Français, comme en témoigne un sondage LiRE et Librinova : 8 Français sur 10 disent aimer écrire, un chiffre qui monte à 84 % chez les femmes. Qu'il s'agisse de lettres, de carnets intimes ou de notes personnelles, l'écriture touche toutes les générations, y compris les plus jeunes, avec 36 % des 18-24 ans qui déclarent écrire régulièrement. Les genres privilégiés restent les romans (40 %), mais les témoignages personnels et autobiographies, qui capturent les histoires individuelles, représentent une part significative (38 %).
C’est sur cette tendance que s’appuie le projet de Virginie Franc-Jacob, Ma vie en Livre. Consciente des difficultés que rencontrent beaucoup d’aspirants écrivains pour structurer leurs récits ou aller au bout de leur démarche, elle propose une solution innovante : une application d’aide à l’écriture. En combinant méthodologie journalistique et intelligence artificielle, son outil rend accessible la création de livres de souvenirs, qu'il s'agisse de raconter une vie entière ou un moment particulier. Nous avons rencontré Virginie Franc-Jacob pour évoquer son parcours et sa vision derrière cette application.
Comment êtes-vous arrivée dans le secteur de la biographie ?
J'ai été journaliste pendant une dizaine d'années, principalement au sein du Groupe L’Express, où j'ai travaillé sur de la presse patrimoniale, notamment pour Mieux Vivre Votre Argent. Puis je me suis orientée vers la communication dans le secteur immobilier. Et il y a un peu plus de trois ans, après la perte de ma mère, j'ai ressenti le besoin d'écrire et j'ai commencé par raconter son histoire, mêlée à mes propres ressentis. Ce projet, d'abord très personnel, a fini par prendre forme et j'ai décidé de l'auto-publier.
J'ai eu la chance de faire quelques séances de dédicaces, et au fil des échanges avec les lecteurs, je me suis rendu compte qu'il y avait un vrai besoin. Beaucoup de gens souhaitaient écrire sur des moments marquants de leur vie ou sur des personnes qui leur étaient chères, mais ils ne savaient pas où commencer, ou manquaient de temps. C'est là que j'ai réalisé qu'il y avait une opportunité pour aider les gens à créer leur propre livre de souvenirs, que ce soit pour raconter la vie d'un proche ou un événement particulier.
Quand avez-vous lancé l'entreprise ?
Je l'ai officiellement créée en août 2023. Pendant un an j'ai travaillé de façon très artisanale sur les biographies... En parallèle, nous avons développé une application avec Vincent Leyrit qui est ingénieur, CTO de l'entreprise et aujourd'hui mon associé. C’est lui qui s’occupe de la partie technique. Nous partageons une vision commune du projet, ce qui est crucial pour moi, car le développement de l'application est au cœur de notre produit.
Comment fonctionne votre application ?
L'application est conçue pour guider les utilisateurs à travers l'écriture de leur livre de souvenirs. On commence par s'inscrire et choisir un thème : cela peut être un récit de vie complet, l’enfance, un parcours de grossesse, un mariage… Chaque thème propose des questions structurées par chapitre, qui vont progressivement plus en profondeur, un peu comme une interview journalistique. L'objectif est d'encourager les utilisateurs à se livrer, à dévoiler des détails personnels à leur rythme.
Une fois le thème et les questions choisis, l'utilisateur s'enregistre directement sur l'application, qui retranscrit ensuite ses propos et met en page le texte pour créer une version prête à imprimer. Nous recommandons de répondre à une vingtaine de questions au minimum pour obtenir un livre conséquent, digne d'impression.
Est-ce que l’intelligence artificielle intervient dans le processus ?
Pour l'instant, les questions sont préenregistrées et s'adaptent au thème choisi. Mais à terme, l'idée est de développer une IA capable d'ajuster les questions en fonction des réponses de l'utilisateur, pour rendre l'expérience encore plus personnalisée. L'IA intervient aussi pour la retranscription, ce qui facilite énormément le travail.
Mon travail de biographe, qui a des similitudes avec le journalisme, vient également nourrir l’application : écouter les gens, les interroger, retranscrire leurs histoires… Les interviews réalisées sur le terrain enrichissent l’intelligence artificielle derrière le projet.
En quoi votre concept diffère-t-il d’un simple livre photo où l’on pourrait ajouter du texte ?
La différence réside surtout dans la profondeur de la démarche. Notre maquette ressemble à celle d'un véritable livre, avec un template simple et épuré. Nous avons volontairement évité le format livre photo, car les photos ne captent pas toujours l'émotion et le contexte d'un moment. Ce que nous voulons, c'est que les gens racontent l'histoire derrière la photo, ce qui s'est réellement passé, ce qu'ils ont ressenti.
L'idée est de proposer un véritable récit, avec un texte dense et riche. Chaque parcours comporte entre 50 et 100 questions, ce qui permet d’aller au fond des choses. Contrairement à un album photo, qui est parfait pour un souvenir rapide et visuel, notre expérience commence dès la première phrase écrite par l’utilisateur.
Avez-vous des concurrents dans ce domaine ?
Oui, il existe des concurrents en France, mais ils ont souvent un modèle économique un peu différent. Par exemple, une entreprise comme Entouréo propose des coffrets que l’on achète pour quelqu’un, qui ensuite peut s’enregistrer. De notre côté, nous avons voulu que l’expérience commence bien plus en amont, en invitant les gens à se confier dès le début, avec la possibilité de faire imprimer leur livre par la suite s’ils le souhaitent.
Aux États-Unis, il existe aussi des sociétés qui se sont lancées sur ce créneau depuis quelques années, mais leur approche est différente. Ce sont souvent des concepts plus ludiques, où chaque jour une nouvelle question est posée, ce qui est sympathique et amusant, mais cela n’offre pas la profondeur d’un vrai livre. La méthodologie que nous avons mise en place est pensée pour encourager les gens à aller plus loin dans leurs récits.
Votre offre est-elle plus accessible que les services d’un biographe professionnel ?
Oui, tout à fait. Nous avons voulu proposer un tarif démocratique. Par exemple, pour un livre imprimé au format A5 avec jusqu’à 8 photos intégrées, le prix est de 79 euros. Les 8 photos correspondent souvent aux 8 chapitres du livre, mais l’accent reste sur le texte. Pour ceux qui veulent une option encore plus économique, il est possible de simplement télécharger le PDF. C’est une expérience différente, plus autonome.
Mais évidemment, cela n’a rien à voir avec le travail réalisé par un biographe professionnel. Quand j'accompagne une personne pour une biographie classique, il y a une dimension de partage et de complicité qui se développe. Parfois, les gens ont même du mal à mettre un terme au projet, tant ils apprécient ces moments de partage. Mais notre approche, c’est de rendre accessible la création de livres de souvenirs, que ce soit pour marquer une naissance, un voyage ou tout autre moment fort de la vie.
Pensez-vous que le succès de ce type de projet est lié à l'engouement des Français pour l'écriture ?
Absolument. Dès le début, j’ai fait une étude de marché, en m'intéressant à la fois à la dynamique du marché de l'album photo, qui a beaucoup progressé ces dernières années avec le digital, et aussi au besoin d’écriture. Pendant la période du Covid, beaucoup de gens ont redécouvert l'importance des souvenirs, et cela a contribué à une forte croissance de ce marché.
Il y a aussi un vrai engouement pour l’écriture en France, avec de nombreux ateliers qui se multiplient. J’ai moi-même animé des ateliers pour mieux comprendre ce besoin. Il y a un désir de transmettre, de fixer sur papier les moments importants, surtout dans un monde où les familles sont plus éclatées. À l'heure où l’on partage tant de choses de façon fugace sur les réseaux sociaux, il y a ce besoin paradoxal de fixer des souvenirs de façon durable.
Mais écrire seul peut être un défi ?
Oui, c’est le cas pour beaucoup de personnes. Même si les ateliers d’écriture sont formidables, ils demandent une certaine appétence pour l’écriture et la capacité de s'engager sur la durée. Souvent, les gens se lancent et s’arrêtent très vite, submergés par le doute ou l’angoisse de la page blanche. En tant que journaliste, je me suis souvent retrouvée face à des personnes qui disaient : “Je ne sais pas par où commencer”. C’est là qu’un accompagnement peut vraiment faire la différence. Poser les bonnes questions, c’est tout un art, et cela permet de structurer la pensée de façon naturelle. Et c’est exactement ce que notre application propose, de manière guidée.
Combien de clients comptez-vous depuis la création de Ma vie en Livre ?
Côté particulier, depuis le lancement de l'application en octobre plus d'une centaine de comptes ont été créés, sans communication digitale pour l'instant et nous avons d'ores et déjà accompagné une dizaine de clients sur des biographies traditionnelles. En BtoB, nous avons signé des abonnements avec des résidences au cas par cas et nous sommes surtout fiers d'avoir deux projets pilotes au sein de gros réseaux de résidences seniors.
Votre business model repose en grande partie sur ces ateliers ?
Oui, clairement. Aujourd'hui, notre équilibre financier repose en grande partie sur ces collaborations B2B. L'idée, c'est de démarrer avec le B2B car l'application est vendue sous forme d'abonnement aux résidences. Nous avons d'ailleurs signé un premier contrat pilote avec un grand groupe, mais pour l'instant, nous ne pouvons pas encore communiquer sur ce partenariat. Le principe est que la résidence souscrit à l'abonnement, et ses animateurs peuvent l'utiliser pour créer autant de livres qu'ils le souhaitent avec les résidents.
Le B2C reste un marché important pour nous, mais il nécessitera des investissements en communication. C’est pour cela que nous envisageons une levée de fonds d'ici un an. Pour l'instant, nous avons bénéficié de la bourse French Tech de la BPI, ce qui a été une belle opportunité. Mais pour attaquer le marché à plus grande échelle, il faudra évidemment lever des fonds.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce parcours entrepreneurial ?
Ce qui me plaît le plus, c'est le moment où les gens reçoivent leur livre. Voir leur émotion lorsqu'ils découvrent leurs souvenirs mis en mots, c'est très fort. Ils réalisent l'importance de ce qu'ils ont partagé, et cela leur fait vraiment plaisir. C’est un sentiment que je retrouvais déjà dans la presse, quand je voyais le magazine imprimé, et là, c'est encore plus personnel.
En tant qu'entrepreneure, j'apprécie aussi le fait de toucher à tout. Même la partie juridique, comme la rédaction d’un pacte d’associés, est intéressante pour moi. Cette polyvalence, ce sentiment de construire quelque chose de A à Z, c'est passionnant. Même si je n’excelle pas dans tout, j'aime apprendre. Cela peut faire peur, surtout au début, mais pour moi, c’est comme découvrir de nouveaux territoires.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?
La partie comptabilité est sans doute la plus compliquée. Cela dit, j'apprends à aimer la dimension de pilotage financier, car elle est essentielle pour orienter l'activité. Mais ce qui est le plus difficile, c’est la solitude. Même si je travaille étroitement avec Vincent, qui est dans le sud de la France, nous ne nous voyons pas souvent en personne. Célébrer les victoires ou affronter les difficultés seul, ce n’est pas toujours simple. Bien sûr, mes proches sont présents, mais ce n’est pas la même chose que de pouvoir s’appuyer sur une équipe au quotidien.
Cependant, malgré ces défis, je touche du bois : jusqu'à présent, je n’ai jamais eu de doute sur la pertinence de ce projet. J’ai été séduite par l'idée dès le départ et je crois profondément à son potentiel. Ce n’est pas de la communication, c’est sincère.
Quelles sont vos perspectives pour les deux à trois prochaines années, au-delà de la levée de fonds ?
Pour l'instant, nous restons concentrés sur le marché des seniors. Mais à terme, nous souhaitons élargir notre offre à d'autres moments de vie importants, comme les mariages ou la natalité. Ce sont des étapes qui méritent aussi d'être racontées et préservées. Au-delà de notre activité, je tiens à rappeler à quel point il est important de noter ses souvenirs, même de manière simple, comme je le faisais pour mes enfants. Ces petites phrases ou anecdotes qu'on consigne, c’est un trésor pour l'avenir.